LETTRES MORTES
01
Brigadière
6 décembre 2021 / Envoi n°1 / Tirage 13x18
Pellicule n°92 / 4 octobre 2015
Il y avait 270 blocs de glace qui passaient leur nuit à fondre sur le parvis de l'Hôtel de Ville pour la Nuit Blanche. Il était déjà près de 2h du matin. La rue était calme et offrait le spectacle reposant de cette brigadière affairée à conclure la soirée. De l'extérieur on n'entendait rien des clinquements de la vaisselle, on n'entendait rien de la musique qui peut-être résonnait pour égayer l'instant. Tout juste devinait-on le silence blafard des néons.
02
Pic de crue
27 décembre 2021 / Envoi n°4 / Tirage 13x18
Pellicule n°418 /27 janvier 2018
La Seine est en crue ! Il y avait déjà eu juin 2016, une belle crue, impressionnante, mémorable à l'échelle d'une décenie, d'une vie de parisien peut-être même, mais sans commune mesure avec 1910.
03
41 cagettes
4 janvier 2022 / Envoi n°5 / Tirage 13x18
Pellicule n°488 / 1er decembre 2018
Le Primeur s'appelle "Le jardin des délices", il se trouve rue de Bretagne, juste à côté du marché des Enfants Rouges. Si j'avais découvert Paris au siècle dernier, j'aurais sûrement imaginé un quartier de gauchistes en culottes courtes, mais j'ai découvert Paris en me découvrant, plus tard, et il m'a suffi de tapoter sur mon écran pour être un peu déçu.
04
Brume électrique
10 janvier 2022 / Envoi n°6 / Tirage 13x18
Pellicule n°681 /16 octobre 2021
Ce n'est pas un village à colombages, les toitures ne sont en rien remarquables, et l'église est suffisamment discrète dans le paysage pour qu'on ne la distingue même pas en passant devant.
05
Quand on regarde de plus près
03 février 2022 / Envoi n°8 / Tirage 12 x 12
Pellicule n°161 / 19 mars 2016
J'étais arrivé par la rue d'Aboukir. J'étais passé devant mon ancienne adresse où rien ne semblait avoir changé. Les boîtes aux lettres toujours branlantes, la porte toujours aussi peu encline à se fermer, je suis sûr qu'en quinze ans l'interphone n'avait pas non plus été remis en état.
06
La vie des Buttes
22 février 2022 / Envoi n°9 / Tirage 13 x 18
Pellicule n°203 / 21 juin 2016
Je n'ai jamais assumé que mes photos des Buttes Chaumont soient une contrepèterie, alors quand je les avais exposées j'avais renommé cela Les gens des Buttes.
07
Chaufferette de poche
2 mars 2022 / Envoi n°10 / Tirage 13 x 18
Pellicule n°482 / 18 novembre 2018
C’était un samedi qui faisait suite à des mois pendant lesquels je n’avais plus trouvé le temps de sortir faire des photos. Alexandre m’avait envoyé un message le matin pour me proposer qu’on se retrouve, la journée s’annonçait bell
08
Cour d'honneur
16 mars 2022 / Envoi n°11 / Tirage 13 x 18
Pellicule n°68 / 14 juin 2015
Les samedis après midis d’aujourd’hui, on y voit un défilé pathétique. Des influenceurs en devenir, du moins l’espèrent-ils, se font tirer le portrait entre les cylindres des Deux Plateaux par des photographes qui ont besoin de bouffer.
09
La fumeuse floue
25 mars 2022 / Envoi n°12 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°32 / 21 février 2015
Si ça se trouve pour cette jeune femme cette soirée était le commencement de quelque chose; ou la fin d’une autre. Même l’agent de sécurité
10
En feuilletant Nan Goldin
11 avril 2022 / Envoi n°13 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°26 / 25 janvier 2015
Tu feuilletais un recueil de Nan Goldin tandis que je lisais le canard. C’était ce moment particulier de janvier 2015, quand le bruit
11
Le vide au carré
27 avril 2022 / Envoi n°14 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°690 / 5 novembre 2021
Ce n’est sûrement pas la période la plus photogénique de ces dernières années. Les gens portaient des masques et bizarrement ils se faisaient alors plus méfiants à l’égard de l’appareil photo.
12
Poulets sous surveillance
03 mai 2022 / Envoi n°15 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°581 / 12 octobre 2019
Sur cette pellicule il y a plein de photos plus intéressantes que celle-ci. Ce jour-là un grand machin de près de deux mètres s’était énervé après mon appareil. Ou après moi je ne sais pas trop.
13
En terrasse
10, 13, 18 et 21 mai 2022 / Envoi n°16, 17, 18 et 19 / Tirage 18 x 13
Pellicules n°682, 594, 684 et 296 / 16 octobre 2021, 23 novembre 2019, 17 octobre 2021 et 7 janvier 2016
Il y aurait pu y en avoir d'autres. J'aime le noir et blanc en terrasse. Que ce soit pour le couple qui y cherche l'aisance de ses débuts et dont on se dit qu'ils devraient commencer par se regarder, pour ce monsieur d'une autre époque que l'on imagine bientôt se régaler d'une tête de veau ou d'une salade de museau, d'un plat de bistrot..
14
On se souvient tous d’un jour de pluie
15 juin 2022 / Envoi n°22 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°680 / 3 octobre 2021
On ne souvient que rarement des jours de pluie qu’on passe à bouquiner, même si la fenêtre à laquelle on s’installe offre une jolie vue, même si on préfère cuisiner pendant l’orage, on s’en souviendra le temps d’arriver à la discussion suivante, au prochain brimborion, comme une pathétique chronique météorologique
15
Pourquoi nommer ?
3 juillet 2022 / Envoi n°23 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°684 / 17 octobre 2021
Les gens qui ne se regardent pas pour se cacher qu’ils ne s’aiment plus me font une peine immense. Eux m’ont fait l’effet inverse. Il faut s’imaginer la douceur avec laquelle j’ai vu le bras de ce monsieur se poser sur l’épaule de cette dame.
16
Gouverner c’est vider (le chômage du canal)
20 décembre 2021 / Envoi n°3 / Tirage 13x18
Pellicule n°137 / 7 janvier 2016
En janvier 2016, on a vidé le canal Saint-Martin. Ca avait duré 3 mois, mais passé le 8 janvier il n'y avait en fait qu'un chantier à ciel ouvert à voir. 14000 tonnes de vase avaient été déplacées. Quatorze milliards de grammes de vase. La mairie ne communique peu sur les déchets trouvés au fond, rien non plus sur l'arsenal qu'on s'attendait à y retrouver en amont du port, et les seuls cadavres qui semblent reposer sur leur lit de vase sont ceux des apéros écolo-friendly.
17
Rêve
14 décembre 2021 / Envoi n°2 / Tirage 13x18
Pellicule n°75 /31 juillet 2015
Je ne photographie jamais la misère. Ceci est une exception.
18
Edgar
29 mai 2022 / Envoi n°20 / par mail
Pellicule n°644 / 28 novembre 2020
Cher Edgar, Seriez-vous la personne figurant sur cette photo prise le 28 novembre 2020 devant Saint-Eustache ? J’exposerai cette photo parmi d’autres, du 17 au 30 octobre dans le 18eme arrondissement.
Tout a commencé lors de mon 403ème jour de télétravail
J'ai réalisé alors que cela n'avait plus rien de temporaire, 403 jours à suivre un rituel dont j'ai passé à peu près le même temps à me dire qu'il n'avait rien d'un rituel.
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C'est pour ça que ce site a vu le jour. Ça, et le fait qu'au début des années 2000 cequimepasseparlatete.com existait déjà, un site sur lequel j'aimais parfois à me perdre, un empilement étonnant de liens hypertextes, un site qui ressemblait à un collage commandité par un prof d'Arts Plastiques aux élèves d'une classe de troisième d'un collège que le temps a déplacé en ZEP. Ne pas se méprendre, j'avais beaucoup d'estime pour mon prof de dessin, et certains collages étaient très réussis. (Pas les miens).
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J'aimais beaucoup ce site, cela faisait partie de mes points de repère quand internet semblait plus chaotique. Des chercheurs quebecois y ont consacré une notice très détaillée, on peut la retrouver facilement sur internet ; et on retrouve également quelques fragments sur les archives du web, comme cet extrait:
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Le vendredi je me lève en me disant que courage c'est bientôt le week-end. Je prends mon hautbois parce que j'ai cours de hautbois le vendredi. Je prends aussi la partition avec laquelle j'ai essayé de me familiariser pendant toute la semaine, lors de mes trajets en métro. J'aime bien jouer du hautbois. J'aime bien le cours de hautbois, et surtout j'aime bien sortir du cours de hautbois quand je sens que j'ai compris un truc ou que j'ai un peu progressé. Je me dis que j'ai envie de jouer plus et je me fais un planning dans ma tête Je voudrais que ça aille plus vite, que je sache jouer mieux . Demain c'est samedi je pourrai faire ce que je veux, et puis ensuite il y aura encore tout dimanche entier. Je verrai sûrement Etienne, et peut-être Boris, et peut-être Philippe. ou d'autres copains Et puis je traînasserai et je ne ferai que des choses agréables et décousues
Évidemment je pourrais les partager sur Instagram mes photos, les donner à voir plutôt que les montrer, je pourrais en faire des posts plutôt que de les poster. Évidemment.
Depuis ce 403ème jour de télétravail, je commence la semaine en choisissant un classeur, au hasard. Il y en a 8, rangés dans un placard qui s’enfonce dans le mur de mon appartement. La porte du placard ne ferme pas, ou si mal, et à chaque fois que je l’ouvre et qu’un classeur manque de m’assommer dans sa chute, chaque semaine je pense à vous que je ne connais pas. Quel classeur choisir ? Les négatifs y sont rangés avec le soin de ceux qui n’en ont que trop peu, cent pellicules par classeur, c’est qu’en un peu plus de huit ans j’ai accumulé quelques images.
Parfois la porte s’ouvre et rien ne tombe, alors je regarde ma montre et j’attends une minute. Cette minute je l’utilise à compter. Le nombre de voitures qui passeront alors dans la rue, le nombre de fois où tel ou tel bruit se fera entendre dans l’immeuble, comme la tête de l'aspirateur de la concierge qui se cogne contre la porte, je compte le vide d’une drôle d’époque entre un et huit, juste pour choisir un classeur.
Je m’arrête ensuite sur une pellicule. Pas vraiment au hasard, mon regard se fige sur le coin supérieur gauche des feuillets, là où j’inscris le numéro de la pellicule. Le numéro me fait me souvenir, ça doit être mon algorithme a moi. Quand un numéro me plait, j’écarte délicatement les anneaux du classeur, je sors le feuillet et le tiens entre deux doigts contre la fenêtre. Je plaque ensuite mon nez dessus et puis je regarde les négatifs. Il m’arrive de ranger le feuillet et d’en choisir un autre, et puis je finis par choisir une image.
J’espère qu’elle vous plaira mais surtout je veux profiter ici du temps que vous ne passez pas sur votre téléphone pour vous raconter cette image.
Une fois l’image choisie, il me reste à trouver quelqu’un à qui en envoyer un tirage. Là, c’est peut-être tombé sur vous. Encore une fois j’ai mille et une ruses pour désigner un destinataire. Je commence par choisir un quartier, puis j’ouvre mon plan de Paris, celui que vous avions tous il y a encore quelques années, avant que nous ne passions trop de temps sur nos téléphones et que l’on nous y greffe un plan qu’il n’est plus nécessaire de savoir lire. Je laisse le hasard choisir une rue pour moi, puis j’ouvre ma fenêtre et hèle un passant depuis mon premier étage. Cette personne devra par exemple me donner un chiffre. Il arrive souvent que le passant ne réponde pas. Puis je lance un dé, je multiplierais le numéro du passant par le résultat du dé, je soustrairais éventuellement le nombre de cafés déjà bus depuis le réveil en me disant que cela doit déjà être trop, et j’obtiendrais une adresse, la vôtre, peut-être. Enfin, j’ai écrit un petit programme informatique qui se charge de sélectionner quelques noms au hasard à cette adresse dans les pages blanches. Quand je tombe sur une société, je recommence une ou plusieurs étapes.
Chaque image n’est envoyée qu’à un maximum de cinq destinataires ; et il ne s'agit là que d'amener un peu de rêverie dans un instant d'époque dont je trouve qu'il en manque cruellement, il s'agit pour moi de prendre plaisir à raconter ces images, loin du tumulte du quotidien.
Ce sont mes lettres mortes.