Kidney Academy

Mon rognon sera ton rognon

Où l’on rédige un premier billet

3 janvier 2016

Ça ne valait pas le coup d’en parler avant, tout cela était trop lointain, trop incertain. “Tout cela”, c’est une formule faussement pudique puisque c’est l’essence même de ces pages, raconter, comme pour se rassurer, le quotidien du (candidat) donneur de rein que je suis.

Certains pensent que c’est courageux, que c’est un beau geste, qui montrerait la grandeur de mon âme. À ceux-là je conseille plutôt d’aller regarder mes photos, car tout ce que mon âme peut avoir de grand s’y trouve ; de ceux-là, je peux aussi imaginer qu’ils ne connaissent pas mon frère. Non, parce que si l’attachiant de service devait se retrouver en dialyse… Blagues à part, il faut visiter un service de dialyse au moins une fois, une fois suffit. Après ça, on donne un rein. Enfin, on essaye, parce que ce n’est pas si simple que ça de donner un rein.

Déjà il faut savoir qu’un rein ça n’ouvre aucune niche fiscale, collectionner les tableaux, oui, limiter le trou de la sécu, non. J’ai même un instant pensé que donner un rein, ça coûtait de l’argent. Je reviendrai sur mes facétieux échanges avec le comité de Direction de l’AP-HP (dont je vais dire énormément de bien, je préviens !), et je précise que la parenthèse qui précède cette précision ne relève pas du second degré.

Surtout pour donner un rein, il faut avoir un lien (frère ou sœur, c’est pas mal, les toubibs ont l’air d’adorer ça). On ne peut donc pas aller dans un service de dialyse et décider de sauver la vie du premier venu. On n’a pas non plus le droit de négocier une part d’héritage en plus avec le receveur : au début, je croyais que c’était pour ça qu’il fallait être de la même famille, en fait pas du tout. Les raisons doivent être un peu médicales, beaucoup éthiques. Ça doit être un principe. On m’a dit une fois que les principes, c’était pour les vieux cons.

Je ne sais pas trop ce que c’est l’éthique ni pourquoi chaque gouvernement décide de faire SA loi Santé, comme si ça pouvait être de gauche ou de droite…

Dans les principes, il y a aussi la gratuité du don. On y reviendra, mais bon celui-là il est pas mal quand même. Non après, c’est une succession de découvertes marrantes :

On ne se met pas à aimer les piqûres avec le temps
Rappeler qu’on n’aime pas les piqûres déclenchera dans les repas de familles un sourire compatissant systématiquement assorti de la remarque “Oh, mais tu sais pour ton frère, c’est pire”
Ne pas rappeler qu’on n’aime pas les piqûres déclenchera nécessairement pendant les repas de famille un sourire compatissant systématiquement assorti de la remarque “Mais toi encore ça va, tu sortiras de l’hôpital après 2 jours, pour ton frère, c’est une autre histoire”
Pourquoi me prennent-ils autant de tubes ?
Essayent-ils de me cloner avec tout ce sang qu’ils me prennent ?
Si c’est le cas, est-ce que je peux ramener un des clones à la maison après l’opération ?
Et si la greffe ne marchait pas ?

Bon en fait y a plein d’autres trucs auxquels on pense quand on n’est pas malade et que c’est pour cette raison précise qu’on va à l’hôpital. On y pense souvent, parce que si mon rognon ne se trouvait pas à son aise dans mon frangin, il lui restera la dialyse, et ça franchement, il suffit d’avoir visité un service de dialyse au moins une fois…

Bêtement, on arrête de fumer quelques mois avant, enfin non, on arrête de fumer un peu avant. Parce que personne ne s’aventurera à vous donner une fenêtre de tir : la transplantation aura lieu quand elle sera nécessaire et personne ne peut vous dire quand ce sera le cas (tout juste un mois avant). Donc on arrête de fumer, sur un coup de tête, en rentrant d’un bar à 6 h 37 un vendredi matin en titubant sur les 500 mètres qui vous séparent de votre chez-vous.

J’ai arrêté de fumer parce que l’ancien néphrologue m’avait dit qu’en plus de pourrir ma santé, j’augmentais les risques opératoires. Allez savoir, moi en tout cas je ne mégote plus ! Enfin j’ai arrêté il y a un mois, tout pile. Mes cils bronchiques doivent commencer à repousser, je m’en suis rendu compte en allant courir hier soir.

Oups, c’est le premier billet, je ne vais pas raconter toute l’histoire maintenant, si ça se trouve la greffe n’aura pas lieu avant le mois de mars et je n’aurais déjà plus rien à raconter.

Je conclurai chaque billet avec une recette de rognons. Non. Je déconne. N’empêche qu’une petite sauce madère, là, je ne dirais pas non.

Où l’on gagne la Kidney Academy

5 janvier 2016

Mon frère a de la chance dans son malheur – formule consacrée – puisqu’il n’a jamais connu la dialyse. Comme un leitmotiv, je le rappelle, il faut au moins une fois avoir visité un service de dialyse…

Il est né avec son problème – formule évasive démontrant que je n’ai jamais vraiment compris de quoi il retournait exactement – et à tout juste 23 ans, il subissait une première transplantation au CHU de Nancy. Donneur cadavre. Mot macabre. Soulagement.

Après, c’est une longue découverte du monde hospitalier, à Nancy d’abord, puis à Lille où il avait déménagé et où la nécessité de réfléchir à la greffe suivante allait s’imposer. Le néphrologue à Lille, je le trouvais marrant. Evidemment ça avait l’air un peu dysfonctionnel parfois. En tout cas quand Rémi nous en parlait, on sentait la complexité du système, les difficultés procédurales, la grosse machine. Pas de chance, on aime bien observer les rouages des grosses machines, autant mon frangin que moi d’ailleurs, chacun à notre façon. Moi, je le fais dans mon job, mais ça je pourrais y revenir plus tard. On a le temps.

À l’hiver 2013 on pensait que ça devenait pressant, le staff à Lille nous a convoqué en famille pour qu’on mesure ce que donner voulait dire, pour faire les premiers bilans aussi. C’était la Kidney Academy, à celui dans la famille qui pourrait donner. Un peu comme des cartouches d’encre, qui sera « compatible ». En fait, et heureusement, ça n’a rien à voir avec les imprimantes. On s’est lancé en famille là-dedans.

On imagine des semaines et des semaines de prime time le vendredi soir, mais en fait on parle de trois rendez-vous à l’hôpital. Une première fois pour une réunion d’information au début du mois de septembre 2013. C’est très étrange ces réunions d’information. On vous explique tout du fonctionnement de l’organe à changer, les gens viennent avec leurs proches. Ce jour-là, à Lille, on pouvait prendre le temps d’observer nos semblables. Tous ces gens dont les médecins iraient après chercher les différences invisibles, pour qualifier… ou disqualifier.

Moi j’avais été frappé par l’apparente faiblesse de l’appareil familial dans cette petite salle du CHRU de Lille. Nous étions 4 ou 5 autour de Rémi ce jour-là, et c’était un des meilleurs scores. Dans notre famille le sujet ne faisait pas vraiment débat, c’est vrai. Il y avait une autre famille un peu nombreuse et puis sinon les gens venaient à 2 ou 3, malade compris. Ça doit être dur.

Dans notre cas, dans le cas de Rémi, l’espoir avait plusieurs noms, plusieurs visages, ses limites sont étendues. Ils font quoi les gens qui viennent avec leur conjoint qui s’avère ne pas être compatible ?

À ceux-là on doit reparler du don croisé, et parce qu’une image vaut mieux qu’un long discours, cette disposition spéciale de la loi de bioéthique de juillet 2011 dont le décret d’application est paru en septembre 2012 se résume finalement très bien ainsi.

Après cette réunion d’information dont on retient l’essentiel sans forcer, il y a eu un premier bilan. On prend le premier TGV pour Lille un matin, on débarque à l’hôpital et là, ils prennent plein de tubes de sang. Si je schématise ce que j’ai compris, si mon frère était une imprimante et que mon rein était une cartouche d’encre, alors ces examens consistaient en fait en la lecture du code barre de la cartouche pour vérifier qu’elle permettrait à l’imprimante de refaire une palette de ramettes de papier. Une particularité de ces examens un peu lourds, c’est qu’on n’a pas de résultats tout de suite.

Je ne fais pas très souvent des examens médicaux et quand ça m’arrive, c’est qu’il y a à première vue un truc qui cloche, du coup j’ai les résultats tout de suite. Là, c’est différent, je fais les examens parce que je suis en bonne santé, les résultats n’arrivent que plus tard. Après la dernière épreuve de la Kidney Academy.

Ce qu’on comprend néanmoins, c’est que si on passe à l’épreuve suivante, ça doit vouloir dire que la précédente ne vous a pas disqualifié. Et, donc on retourne une 3ᵉ fois à l’hôpital. Pour le scanner cette fois-ci.

Déjà je n’avais pas vraiment anticipé le coup du produit de contraste, à ma décharge, je ne suis pas franchement coutumier du fait. J’ai bêtement imaginé qu’il me suffisait d’entrer dans une pharmacie quelconque juste avant l’examen pour acheter ma dose. Ah oui, il faut amener son produit de contraste pour le scanner, un peu comme l’imprimante là aussi, on vient avec sa cartouche. Donc ce jour-là, début février 2014 je crois, je monte dans le TGV, accompagné, encore. À ce sujet, si le don est une décision très personnelle, très familiale aussi, il faut voir que les valeurs ajoutées de la famille sont aussi embarquées là-dedans et que ça n’est pas sans impact. J’y reviendrai plus tard, c’est trop important pour se limiter à quelques lignes entre deux rendez-vous au CHRU de Lille.

Aucune des pharmacies proches de la gare de Lille ne pouvait me vendre le produit de contraste et je me pointais donc à l’hôpital sans mon consommable. D’entrée de jeu on vous dit à quel point ce n’est pas bien. On rappelle quand même à la blouse blanche en question qu’on n’est pas malade alors les contingences matérielles, franchement… Finalement, on prélève dans le stock de la pharmacie hospitalière, une commande partira toute seule ou presque vers le labo qui livrera, mais ça, c’est mon job, évitons les digressions.

Pas agréable le scanner. Déjà l’injection du produit de contraste, en soi le principe de l’aiguille tout ça, tout ça, moi ça me rebute. Et, après le scanner, quand on est pris d’une monstrueuse douleur lombaire qui fait baliser tout le monde – bon surtout moi, ok – et qui fait rater le train du retour. Ce jour-là, pas de bière aux trois brasseurs avant de prendre le train, retour à Paris sans fanfaronner.

Quelques semaines plus tard, le 28 février 2014, le courrier avec les résultats dont la conclusion est un premier soulagement, la Kidney Academy, c’est fini, « tout ça » va pouvoir vraiment commencer.

Où l’on reçoit une facture

6 janvier 2016

Pour tout un tas de raisons que je détaillerai dans un autre billet, au début de l’été 2015, Rémi a changé d’hôpital. Ça ressemble un peu à un mercato d’ailleurs, ou non, à un don d’organe ! Les chefs de service se parlent, l’un est donneur, l’autre receveur. C’est surtout pour donner une image amusante de la chose parce que dans les faits, ça a surtout donné lieu à des facéties administratives qui laissent à penser que oui…

L’hôpital, c’est vital, les budgets sont trop serrés !

Mais, bon, là n’est pas le sujet. La Pitié-Salpêtrière est donc le point de chute de Rémi pour la suite, tant pour le suivi post-greffe que pour les consultations pré-greffe. Dit de la sorte, ça semble on ne peut plus normal. Même pour moi.

Maintenant imaginons la dernière consultation à Lille dont Rémi repart avec une tonne de documents : son dossier, mais aussi le mien, avec pour mission de les donner à son nouveau médecin à la Pitié. Nouveau médecin dont à l’époque il ne connait que le nom puisque son ancien médecin doit encore contacter le nouveau médecin avant que Rémi ne prenne rendez-vous. Ça sentait un peu le contournement de processus normal, mais nous on n’allait surtout pas s’en plaindre hein.

Bon, quelques semaines plus tard, mon frère va en consultation post-greffe avec tous les documents. Là étonnamment, le médecin lui en laisse une bonne partie en expliquant qu’il n’en a pas besoin. Puis encore quelques semaines plus tard, au mois d’août 2015, nous sommes reçus ensemble par le néphrologue pour une consultation pré-greffe. Ce dernier s’étonne de ne pas avoir le dossier. Il s’agissait des documents laissés quelques semaines plus tôt.

À ce stade, les examens post-greffe montrent que le rein de mon frère a passé un nouveau palier, forcément, nous, ça nous inquiète un peu. Nouvelle consultation prévue le 30 septembre pour nous deux.

Là je rencontre la coordinatrice des transplantations rénales, avec mes référentiels professionnels à moi, je comprends qu’elle est en fait une sorte de super chef de projet des transplantations de la Pitié. Je n’arrive pas à trouver le nombre de transplantations rénales par an à la Pitié, mais les chiffres clés de l’établissement mentionnent 363 transplantations réalisées en 2013 (peut-être d’autres organes sont-ils également concernés ?). Dit comme ça, ça fait 1 par jour, week-ends compris, en s’arrêtant pour le 1ᵉʳ mai et le 1ᵉʳ janvier. Soit vachement beaucoup. Au boulot, j’ai vu des chefs de projet faire des burnouts pour beaucoup moins que ça. Je dis ça, je dis rien.

D’ailleurs en lisant une interview du Professeur Barrou (le transplanteur de la Pitié), à qui je demanderai demain matin le nombre de transplantations, on lit bien, au sujet du programme 15-20, que :

faudrait que l’on nous donne les moyens humains, des effectifs pour cela, car c’est très consommateur de temps.

Donc, je reviens au 30 septembre et ma rencontre avec la coordinatrice des transplantations rénales. Le bilan lillois commençait à dater donc certains examens vont devoir être refaits et plutôt que de me faire revenir, l’infirmière se propose de faire les prélèvements là tout de suite avant qu’elle n’aille déjeuner. J’apprécie, tends le bras, serre les dents, me dirige vers les toilettes, ne remplis pas assez le flacon d’urine qui part quand même au labo pour 50 % du bilan. Puis je retourne au bureau.

Au mois de novembre, alors que je n’ai aucune nouvelle médicale de la Pitié (mon frère non plus du reste), je reçois avec mon courrier une improbable facture de 25,06 € pour les examens réalisés le 30 septembre. J’appelle la Pitié et on m’explique que si j’ai reçu une facture je dois la payer et que je serai remboursé après.

Juste pour rappel, la loi de bioéthique de juillet 2011 et aussi d’autres textes réglementaires garantissent la neutralité financière du don. Une fois cela dit, il me restait les armes habituelles.

À commencer par twitter, évidemment.

L’approche Twitter s’avérant inefficace, j’adresse alors un email à Eric Favereau, journaliste santé à Libération qui m’a fait une réponse très gentille dans la soirée.

J’ai profité des fêtes, comme tout le monde et puis la semaine dernière, le 29 décembre, une redite du titre exécutoire. Là quand même, je me suis dit que ça devenait ridicule. J’ai cherché le numéro du secrétariat du cabinet de Martin Hirsch (facile) et je suis tombé sur une dame très agréable qui a trouvé cette situation ubuesque (rassurant) et à qui j’ai expliqué que j’avais déjà prévenu la presse et que maintenant j’allais envoyer un mail à Martin Hirsch et tout son comité de direction (ou presque).

À 11 h 16 mon mail partait. À 13 h 35, Martin Hirsch répondait directement pour m’informer qu’il n’avait pas connaissance de cette situation et qu’il faisait vérifier sans délai. Le 30 décembre, à 14 h 26, son directeur de cabinet me répondait à son tour, avec tous les éléments expliquant ladite situation. Le titre exécutoire était annulé, et monsieur Antonini me présentait ses excuses et ajoutait que les services de la Pitié m’adresseraient également une lettre d’excuses ; courrier qui arrivera le lendemain, 31 décembre, à 11 h 27.

On lit beaucoup de choses sur l’APHP, sur sa direction générale, et il y a sûrement du vrai dilué dans tout le faux (ou l’inverse, je ne sais) mais il faut dans cette affaire apprécier l’incroyable diligence de MH et de son équipe rapprochée et l’incontestable efficacité des services pour retrouver le point de procédure qui n’a pas été observé dans mon dossier.

J’ai souvent constaté dans mon boulot que les gens avaient tendance à ne pas respecter l’exhaustivité d’une procédure soit quand elle est débile, soit quand ils sont trop chargés pour le faire correctement.

Où l’on se dit qu’il y a vraiment un manque de moyen

7 janvier 2016

Consultation pré-greffe à la Pitié ce matin. Je ne sais pas pourquoi, je me suis machinalement rendu au 4ᵉ étage du pavillon Cordier.

Là je suis tombé sur un couloir en travaux avec un soignant qui poussait un brancard vide d’une pièce à l’autre, on aurait dit un film d’horreur. Drôle, au moins dans l’instant.

J’arrive finalement au 3ᵉ étage, je me présente et quatre minutes plus tard, alors que Rémi m’a rejoint, nous suivons le Professeur Barrou et nous installons dans une salle de consultation.

La discussion s’ouvre sur la personnalité de Rémi, l’observance dont il doit faire preuve et puis rapidement sur le don en lui-même. On se rend compte d’ailleurs que chaque médecin a sa manière d’aborder les risques, de les présenter, même si dans le fond l’information est toujours la même, la forme diffère.

Avant de m’attarder quelques instants sur les risques (ou pas), et comme un écho au premier billet de ce journal de bord il y a quelques jours, je m’amusais à rappeler au médecin mon angoisse de la blouse blanche et Rémi abondait en rappelant comment j’avais tourné de l’œil, il y a près de 15 ans alors que nous faisions le tour du service de dialyse du CHU de Nancy. Le médecin a embrayé sur le « Pourquoi », « Pourquoi le don », j’ai juste redit cette évidente vérité.

Il suffit d’avoir visité un service de dialyse au moins une fois… Après on se dit qu’on fera tout pour lui éviter ça.

Les risques. Bon, l’entrée en matière version Pr Barrou est moins nuancée que celle du Pr Noel, même si à la fin ils disent la même chose. À Lille ça commençait par « C’est une intervention chirurgicale, donc il y a un risque ». Là, on était tout de suite sur la statistique. 0,02 %. Le médecin a l’avantage, il la connait à l’avance, moi j’ai dû prendre 3/4 de seconde pour remettre ça à l’endroit. 2 pour 10000. En plus, il nous l’a traduite tout de suite, la statistique.

J’aime bien les statistiques, ce sont des chiffres qui sont manipulés par des gens trop honnêtes pour les empêcher de mentir. J’ai suffisamment eu à sortir des statistiques fausses au bureau pour savoir comment ça marche. Dans le cas présent, c’est que pour 10000 personnes qui passent la porte d’un bloc opératoire, 2 sont aux premières loges de leurs funérailles dans les 30 jours qui suivent. Enfin, c’est bien ce que ne dit pas la statistique, qui pour être vraiment exploitable devrait me dire, par exemple, la mortalité opératoire à 30 jours pour les néphrectomies pratiquées le vendredi au printemps chez des personnes de mon âge. Mais, cette statistique-là, elle n’intéresse personne et l’analyste qui l’aurait sortie, qui l’a peut-être sortie, s’entendrait dire par son chef « bon, mais si tu fais une moyenne, on a combien ? » et le 0,0233 % ne voulant plus dire grand-chose, il s’est transformé en 0,02 %.

– En gros, ça veut juste dire que le risque zéro n’existe pas ?
– Oui.

C’est cette histoire de statistique pourtant qui est super intéressante, à la limite pour les risques, on peut aller sur le site de l’agence de biomédecine, ils expliquent tout ça très bien.

Les statistiques commencent toujours avec des données individuelles, et quand le Pr Barrou a voulu accéder à ma fiche donneur, son ordinateur a fait des siennes. L’infirmière était dessus en même temps et sur un système de gestion de base de données, un accès concurrent, ça ne pardonne pas. En attendant qu’elle libère la fiche, et en écho à une discussion préalable sur les moyens, il nous explique que c’est lui qui a monté cette base de données avec Filemaker, et qu’aujourd’hui sa DSI n’a pas un rond pour faire vivre le truc.

Tout ça pourrait ressembler à une discussion un peu surréaliste vu le contexte, mais en fait pas du tout. Les risques détaillés avant vont avec une obligation stricte de revenir une fois par an pour un bilan rapide et de faire une échographie du rein (puisque je n’en aurai plus qu’un) tous les deux ans. Le médecin insistait un peu lourdement là-dessus et dans un sourire, je lui ai répondu que oui, bien sûr, je n’allais pas m’amuser à oublier ça.

La fiche s’ouvrait enfin sur l’ordinateur et le médecin d’expliquer alors que ce serait quand même bien que son logiciel se charge d’envoyer les relances aux donneurs pour qu’ils viennent à leurs visites annuelles. Ce que tous ne font, semble-t-il, pas systématiquement.

Quand je vois le fossé entre le cabinet de généralistes à côté de chez moi qui met à disposition un portail super pratique pour gérer un bout de la relation patient et un cador de la transplantation rénale qui explique entre deux plantages de son PC tout ce qu’il manque à son outil maison.

Quand je vois le fossé entre le cabinet de généralistes à côté de chez moi, qui va parfois jusqu’à prévenir des retards et les téléphones de la Pitié-Salpêtrière qui sonnent dans le vide à longueur de journées parce que les bras manquent pour décrocher.

Quand je vois toutes ces petites choses ou quand l’infirmière nous dit après 2 h de consultation et quelques tubes de sang qu’il y a cinq patients qui l’attendent, forcément, on se dit que si l’organisation n’est assurément pas parfaite, c’est peut-être vraiment à cause des moyens étriqués.

En tout cas, si tout le monde s’en fiche, ça fait au moins une bonne raison d’en parler !

Où les examens sont de retour

13 janvier 2016

Je pense qu’il serait exagéré de parler d’iatrophobie, mais quand je circule dans les couloirs d’un hôpital, je ne suis jamais complètement à l’aise. Si on commence à m’y faire des examens, aussi quelconques soient-ils, je peux rapidement défaillir.

La semaine dernière, c’est le tensiomètre qui aurait pu avoir ma peau, voire l’inverse. L’appareil faisait des bips comme pour exiger que je me calme, le médecin exigeait de mes bras qu’ils s’immobilisent quelques minutes sans que mon cerveau n’arrive à faire passer cet ordre. Je n’ai même pas compté combien de fois ils ont relancé la mesure pour avoir des chiffres suffisamment acceptables pour qu’ils ne trahissent pas les facéties de mon syndrome aigu de la blouse blanche.

C’est là que les choses se gâtent, je suis le premier à reconnaître combien cette situation est pathétique, gigoter à la mesure de la tension, même dans les pires épisodes de Mr Bean on ne voyait pas ça. Les choses se gâtent, car après l’aiguille s’est approchée de mon bras, un prélèvement anodin, 4 ou 5 tubes. Que nenni ! Vingt-trois tubes de sang. Il faut dire que j’ai eu le malheur d’annoncer presque content de moi que j’étais à jeun. Ça n’était pas calculé, j’avais très peu dormi pendant la nuit et je n’avais simplement pas eu le temps.

Bon en y réfléchissant j’ai réalisé que j’avais englouti une cuillère de Nutella sur les coups de minuit et que j’avais avalé un café au réveil. Sans sucre. Le café.

Je suis reparti, après m’être acquitté des divers prélèvements, avec une ordonnance pour un Doppler, mais aussi un scanner qui sera fait à l’hôpital et un autre examen qui a l’air hyper fun et que je vais devoir passer à l’hôpital Tenon, le DFG.

Pendant ce temps-là, à chaque fois que j’ai Rémi au téléphone, il me dit qu’il se sent de plus en plus faiblard. Préférons les euphémismes, faiblard ça sonne presque marrant. Dans le genre faiblard, ceux de ma famille qui sont allés voir ma grande-tante Yvonne dans sa maison de retraite ces dernières semaines me disent combien elle est faible. Du coup, je voulais aller la voir depuis un moment, mais là il s’agirait de ne pas traîner.

J’ai sauté dans un train pour Blois, retrouvé mon père à la gare d’où nous sommes partis pour acheter des crevettes pour Yvonne. Elle aime les crevettes. Bon, on dit maison de retraite, mais ça fait plutôt hôpital défraîchi avec chambres rafraîchies. Chambre d’hôpital quand même. Pas sympa pour nos vieux. Je crois que je ne l’avais jamais vue aussi heureuse de me voir. Quatre-vingt-dix-sept ans, des souvenirs intacts, ses recettes toujours en tête, mordant dans ses crevettes, puis dans les pâtisseries, tata Yvonne est incroyable. Tout juste, faut-il parfois répéter un peu plus fort.

Puis l’hôpital Tenon m’a appelé, pour me fixer le rendez-vous pour le DFG. 23 février, des tas d’indications que je n’ai que partiellement retenues (un document à renvoyer avant, les urines de 24 h la veille, le secteur jaune, ou Joliot, je ne sais plus…) puisqu’il me semblait évident qu’elles me seraient rappelées dans le courrier que je vais forcément recevoir puisque mon interlocutrice m’a fait répéter mon adresse.

Du coup tata Yvonne a demandé quand la greffe aurait lieu. J’ai répondu que ce ne serait pas avant avril. Elle a eu le regard vide quelques instants, puis elle a dit à mon père que j’étais bien courageux et elle a ajouté à son endroit, « tu auras tes deux fils sur le billard en même temps ».

Sur le chemin du retour, j’ai regardé sur internet ce que c’était que le DFG, j’ai déjà eu du mal à supporter le scanner du rein la dernière fois, je vais encore en repasser un bientôt, mais alors le coup de l’examen qui se cache derrière un sigle, ne peut être fait que dans 2 ou 3 hôpitaux parisiens, qui dure une journée et qui nécessite d’être à jeun… Celui-là je ne le sens pas, mais alors pas du tout !

Débit de Filtration Glomérulaire. Déjà y a un mot que je ne pige pas, tout comme le correcteur orthographique. Ça commence mal, je comprends malgré tout que l’on veut savoir combien de litres de sang mes reins filtrent. Wikipédia parle pudiquement de liquide et me fait savoir que l’adulte en condition normale a un DFG de 0,12 L/min. Soit une petite bouteille de vin servie dans les avions, même si franchement, il vaut mieux s’abstenir de boire cette piquette, pas sûr que ça se filtre bien. Je comprends aussi qu’en dehors d’une poignée de cas, on se contente de l’estimer avec une formule savante.

Donner un rein se trouve faire partie de la poignée qui nécessite une vraie mesure qui est réalisée avec des marqueurs isotopiques.

Là, c’est un mot que je comprends vaguement. Est-ce à dire qu’on va m’injecter un produit radioactif ? Je suppose. En cherchant un peu on apprend qu’au Canada, le produit radioactif est du Technétium 99m. On peut dès lors supposer que c’est la même chose ici et une fois de plus Wikipédia se trouve être un formidable rafraîchissement pour mes vieux cours de physique-chimie…

Pour résumer, je ne suis pas spécialement courageux, même si la remarque de tata Yvonne m’a fait sourire. Je fais aveuglément confiance à tous ceux qui portent une blouse, du coup je ne suis absolument pas inquiet.

Ce que tout ça est angoissant tout de même !

Où l’on reçoit encore une facture

16 janvier 2016

Toute fin décembre, j’avais reçu un titre exécutoire pour une facture du mois d’octobre de 25,06 € relative aux examens passés en septembre. J’avais expliqué ici même comment j’avais renvoyé la balle au comité de direction de l’APHP dont la plus haute tête m’avait répondu dans les deux heures à deux jours du nouvel an.

Considérant cette correspondance privée, je n’en avais pas publié d’extrait et sans le faire plus aujourd’hui, il me faut préciser que j’avais alors indiqué que le processus était soit, mais c’était hautement improbable, inexistant ; soit manifestement défaillant. J’ai un petit faible pour les défaillances de processus, déformation professionnelle je suppose… Le directeur de cabinet m’expliquait finalement que la défaillance résidait dans l’application d’un processus dont il semblait clair dans l’esprit de tous mes interlocuteurs qu’il était suffisamment robuste puisque l’action envisagée suite à mon courrier consistait en un rappel de ce processus à ceux qui ont la charge de le mettre en musique.

La semaine suivante, le chirurgien m’expliquait que certains donneurs avaient même été relancés par voie d’huissier, ce qui pourrait tout de même vouloir dire que si le processus n’est à ce point pas observé correctement, c’est peut-être simplement parce qu’il n’est pas adapté. C’est en tout cas le raisonnement que je suivrais dans mon job !

Puis, hier, en plein dans les cartons de déménagement, j’ouvre mon courrier et découvre un nouveau titre exécutoire, portant sur une autre facture liée aux examens du 30/09. Sans attendre, j’ai adressé un mail au responsable qui m’avait été identifié comme contact en cas de problèmes de cet ordre. Une fois encore j’ai pu apprécier la vitesse à laquelle une réponse me parvint.

Donc, il fallait que j’ignore cette relance puisque mon interlocuteur m’indiquait avoir mis en place une prise en charge jusqu’au 31/03/2016. L’opération semble plutôt partie pour avoir lieu en avril, mais soulever ce genre de questions me ferait passer pour le pire emmerdeur de la Création, aussi préféré-je la réserver pour ma convalescence…

Par contre, je me suis inquiété auprès de M. Durand de savoir si cette prise en charge concernait tous les établissements de l’APHP ou la seule Pitié-Salpêtriè. En posant cette question, je pressentais l’odeur de soufre qui allait me revenir quelques minutes plus tard.

Donc pour le DFG du 23.02 à Tenon, ça va être rebelote ? Facture ? Relance ? Courrier au patron ? Tout ça pour recevoir un courrier d’excuses à la fin ?

Où l'on achète un rognon de veau

23 janvier 2016

On m’a demandé la semaine dernière ce que pouvait bien être l’iconographie d’un blog sur le don de rein. C’est sûr qu’il y a plus simple. J’ai choisi de ne pas vraiment illustrer mes propos, d’ailleurs, ces billets ne visent pas tant à raconter la transplantation qu’à me permettre de l’entourer de mots, vraiment comme un journal.

Si je faisais un blog sur un autre sujet médical, au hasard sur l’infertilité, je ne pense pas que je m’amuserais à chercher des images pour illustrer. Je dis au hasard, mais après tout, pour un mec pas malade qu’est-ce que j’en ai vues des blouses blanches !

C’était une grosse semaine, qui ne laissait que peu de temps pour penser à toutes les convocations d’examens qui sont arrivées ces jours-ci. Une grosse semaine qui commençait avec le déménagement et s’achevait sur un passage à l’hôpital – n’en parlons pas, ce serait… stérile – et un entretien d’embauche. Changer d’appartement, envisager changer de boulot, espérer mille mais surtout une autre chose… Ne pas vraiment penser à la Pitié-Salpêtrière, ni à mon frère que je n’ai pas beaucoup eu au téléphone pendant la semaine.

Je dois aller faire les Doppler pour lesquels j’attends l’ordonnance, le scanner lundi après midi, l’écho cardiaque le 19 février puis le DFG à Tenon le 23 février. Après on retournera voir le professeur Barrou début mars et il sera alors temps de passer à la suite…

Jeudi soir les cartons se déballaient tranquillement, je reprenais le boulot vendredi après deux semaines de repos, et j’avais décidé que qu’il fallait manger du foie de veau. J’enchainais les commerçants de la rue de Meaux en commençant par le caviste, puis le boulanger avant de m’arrêter chez le boucher. Il ne restait plus qu’une ridicule tranche de foie.

Sans vraiment réfléchir, mon envie d’abats s’est exprimée quand j’ai articulé…

Oh mettez-moi un rognon alors !

En regardant le boucher me préparer le rognon, je réalisais que je n’y avais pas pensé de la semaine, il faut dire qu’il y avait eu mille autres choses, de ces espoirs qu’un simple coup de fil peut doucher en un instant.

Ce soir en déballant un carton, j’ai retrouvé tous les courriers de l’hôpital, avec toutes les dates de rendez-vous. Puis je suis allé cuisiner mon rognon, pour ne pas y penser ce soir non plus…

Où l'on repasse un scanner

28 janvier 2016

Quand j’avais fait le premier scanner à Lille, je m’étais pointé à l’hôpital sans le produit de contraste. Peut-être un acte manqué pour manquer cet acte, je ne sais.
Je pense que ça vient de l’injection. Et puis « passer un scanner », ça fait un peu mec malade je trouve, et moi je déteste les piqûres et, rappelons-le, je ne suis pas du tout malade ! Là, du coup j’étais presque déçu de ne pas avoir à acheter le produit de contraste moi-même : j’étais court en actes à manquer…
Arrivé à la Pitié, je suis passé voir l’infirmière en charge de la coordination des transplantations rénales pour récupérer les résultats. J’ai pu mesurer ce que les 23 tubes de sang du 6 janvier permettaient de mesurer… Je suis reparti avec une feuille remplie de haut en bas avec à chaque ligne un résultat d’analyse. Je suis reparti avec une feuille sur laquelle était écrit « page 1 sur 3″… D’ailleurs à bien y réfléchir, les actes manqués commencent avant, puisqu’en entrant dans l’ascenseur du bâtiment Cordier, je n’ai pas réussi à me souvenir de l’étage auquel je devais me rendre.
Il faut quand même se dire que concernant les chiffres je suis plutôt du genre hypermnésique limite flippant en temps normal… Dans le même esprit, si quelqu’un veut l’évolution du prix des Granola mois par mois chez Monoprix sur les 5 dernières années, mes 5 kilos en trop et moi-même nous tenons à son entière disposition…
Là, encore une fois, j’étais incapable de choisir l’étage. Dans le doute, je suivais les autres visiteurs dans l’ascenseur jusqu’au 4ᵉ étage en espérant reconnaître les lieux s’il s’agissait du bon étage. En fait, non. Là, 2 jours après, je suis encore une fois incapable de me rappeler si je suis finalement descendu au 2ᵉ ou au 3ᵉ étage.
Je suis reparti avec ma feuille d’examen à la recherche de l’institut de cardiologie où je devais me rendre pour le scanner. Avec une once de mauvaise foi, j’ai décrété le plan trop mal foutu, imbitable même ! En descendant la rampe d’accès de l’hôpital, je regardais les résultats des analyses du 6 janvier, enfin le tiers qui était en ma possession. J’étais super content de mes scores, ils indiquaient ce que je rabâche à tout-va : je suis en pleine santé !
Et puis j’ai trouvé l’institut de cardiologie. J’ai tourné en rond dans le bâtiment et finalement, juste avant que je ne trouve quelqu’un pour m’aiguilleur, je constatais au bas de la fiche de résultats quelques chiffres anormaux.
L’infirmière était si gentille. Mais, était-elle infirmière ? Je ne sais pas… Il faudra que je m’intéresse aux codifications vestimentaires tout de même… Je devais remplir et signer un papier, je crois qu’il y était question d’information sur les risques encourus lors du scanner. J’ai fait quelques blagues sur ma capacité improbable à m’évanouir en milieu hospitalier (remarquez ça me le fait aussi en avion). Je n’avais pas la tête aux blagues, je psychotais à cause des trois lignes avec des chiffres supérieurs à leur normale, je psychotais à cause « des risques encourus », je psychotais et déjà ma sueur devenait froide, ma peau changeait de teinte.
J’ai percuté que ces trois lignes avaient un rapport avec mon foie, avec l’alcool ! Il faut dire, 6 janvier, une semaine après les fêtes, en pleine période d’angoisse durable au bureau… Mouais. Il y a eu abus, mentir serait inutile. Pas d’inquiétude, réchauffe ta sueur. En plus étais-je vraiment à jeun le 6 janvier quand le prélèvement a été fait ? Pour sûr il y avait eu un digestif sur les coups de 22 h, mais cette cuillère de Nutella, à quelle heure avais-je bien pu la prendre ?
De toute façon je suis en pleine santé, j’ai arrêté de fumer il y a 55 jours sans ressentir de manque, j’ai géré en quelques jours un déménagement de 25 m3, le stress qui va avec ma situation au travail toujours pas très claire… Si je devais être malade et alcoolique, ça se saurait, pas besoin de tous ces examens…
… D’ailleurs la piqûre là pour le scanner, est-ce vraiment nécessaire ? Je ne sais pas si les deux personnes qui redoublent de gentillesses en s’affairant autour de moi sont infirmières, en tout cas elles parlent du médecin comme s’il ou elle était d’une autre espèce, j’exclue donc cette qualification pour elles. Ça me fait mal au bras, je pense que c’est le cathéter, mais pour ne pas y penser je me convaincs que c’est le sparadrap qui le tient en me tirant sur les poils qui me fait souffrir.
Je me demande où ils achètent les pyjamas bleus qu’ils font enfiler aux patients avant de passer au scanner… Quand le Lasilix passe dans la perfusion, un peu avant le produit de contraste, tout salarié de Sanofi que je suis encore pour le moment, je me dis qu’au moins ça va faire un peu d’intéressement en plus sur l’année prochaine. Je ne tiens pas en place, je déteste les trucs médicaux. En plus à force y a un médecin qui va me dire que je ne suis plus un mec pas malade.
Je ne tiens pas en place et les infirmières m’intiment l’ordre de ne plus bouger pour ne pas foirer les images. Ça me fait penser à la photo, à Fisheye magazine que j’ai trouvé au kiosque de l’hôpital et que je n’ai pas encore lu, je m’immobilise et après encore de très longues minutes (si si), je suis finalement libéré.
Les mêmes causes se plaisant à produire les mêmes effets, comme au dernier scanner je me retrouve plié en deux dans les toilettes, m’agrippant à la barre disposée à cet effet comme dans les maisons de retraite. J’ai mal au dos. J’ai un énorme mal de dos. J’ai presque honte d’embêter les infirmières (mais sont-elles infirmières ? Je ne sais toujours pas !) avec mon mal de dos de chochotte, je m’installe, vaseux, sur le fauteuil, que la jeune femme à la gentillesse de passer en position presque horizontale et je lui demande, confus, si elle peut me trouver un verre d’eau. J’aurais une petite brique de nectar d’ananas. J’ai mal au dos, mais je prends sur moi, j’ai envie de rentrer à la maison.
Je sors côté boulevard Vincent Auriol, la sortie la plus proche de l’institut de cardiologie, mais le métro m’opposerait un changement et je ne trouve pas de taxi. Je retourne vers le boulevard de l’hôpital en m’arrêtant trois fois dans des bâtiments inconnus pour trouver des toilettes. Que les toilettes publiques de la Pitié sont sales… !
Je monte dans le taxi, il m’arrête pour retirer de l’argent et quand j’arrive à la maison le mal de dos commence à se dissiper…
Je ne suis toujours pas malade, et en plus, j’ai survécu.

Où l’on préfère ne pas trouver de titre

3 février 201§

C’est un peu facile de ne pas trouver de titre. Au début, j’avais pensé à « où l’on est coincé dans le tunnel qui mène au placard » mais cela laissait un champ trop libre à l’interprétation.

Il faut dire que ces longs tunnels sans rien sont un peu longs. Sans rien de médical, je précise. En attendant Rémi me disait tout à l’heure qu’il avait encore des rendez-vous à prendre, pour lui ce tunnel-là est toujours très court…

« D’habitude je sais que tu es super rigoureux là-dessus, mais tu penseras à voir avec la paye pour le 6 janvier ? »

Oui alors quand j’ai entendu cette phrase, je n’ai pas pu protester, car elle était pleinement légitime. C’est vrai que le 6 janvier j’ai manqué un bout de boulot pour me rendre à l’hôpital. C’est complètement vrai. C’est vrai aussi qu’en dehors du certificat de passage, la Pitié ne pouvait rien pour moi.

C’est vrai aussi que dans une boîte comme la mienne, à fond dans la santé, tout ça, tout ça, on peut bien se payer le luxe de perdre une journée ou une demi-journée de repos pour se rendre à l’hôpital.

J’ai prévenu ma boîte, il y a longtemps, toujours cette histoire de tunnels, qu’un jour, je devrais être absent pour quelque temps. J’avais l’habitude de travailler sur des projets au long cours, des sujets sur lesquels on ne peut pas se dire qu’un consultant fraîchement débarqué pourra prendre la relève au pied levé. Du coup, j’avais prévenu. En faisant confiance au sentiment du médecin à Lille « sûrement en septembre… ». Puis septembre devenait décembre, puis avant l’été, et nous voilà aujourd’hui en lice pour le printemps.

J’avais prévenu parce que ce septembre-là ne tombait pas très bien pour le projet et que la moindre des choses vis-à-vis des gens qui comptaient sur moi, c’était de les tenir informés. Si c’était à refaire je me tairais. D’ailleurs, si j’avais un conseil à donner ici, c’est qu’il vaut mieux ne pas informer trop tôt. À cause des tunnels.

Le premier tunnel sera vécu par la boîte comme un soulagement, le second surprendra, les suivants donneront lieu à des commentaires contre lesquels on ne pourra pas vraiment protester. En plus après on peut se faire facilement des films. Moi, par exemple, depuis la fin de ce super projet en mars 2015, je n’ai plus rien à faire, ou presque, enfin, c’est compliqué et par prudence je n’en parlerais évidemment pas ici.

Par contre, ma boîte se réorganise, ce qui veut dire pour les gens pas très occupés comme moi qu’il y a un espoir de se recaser quelque part pendant le mercato géant qui s’annonce. Enfin là aussi y a comme un tunnel et les annonces ne passent pas, alors j’ai voulu emprunter un itinéraire bis et je me suis inquiété auprès des RH…

« Vous comprenez, mon inquiétude, c’est aussi d’arriver en avril – par exemple – d’être arrêté quelques semaines et que pendant ce temps-là on m’oublie dans le mercato »

Alors évidemment on vous dit de ne pas vous en faire, que le timing ne sera pas celui-ci, le discours est officiel, les RH et les managers le maîtrisent tant et si bien qu’on en vient à se dire que le mercato sera pipé, peut être est-il déjà décidé que je me retrouverais en x ème division ? (remplacez x par un chiffre de 1 à 5 où 1 représente la meilleure cote d’un individu en entreprise)

Non, évidemment ça n’est pas ce qui se passera, car là aussi les tunnels sont pleins de surprises, mais si c’était à refaire, pour me soustraire à ces divisions difficiles, je ne dirais rien, quitte à pénaliser la mort dans l’âme un projet complexe.

En tout cas je me suis pris à rêver à une chose fort pratique : si on pouvait mettre le rein dans un placard le temps de passer les tunnels, et l’en sortir dès que nécessaire, il y a plein de choses qui seraient plus faciles dans la vie de tous les jours…

Pour faire simple et pour éviter les commentaires légitimes, j’ai déjà posé le 19/02 (Doppler le matin à côté de la maison / écho cardiaque l’après-midi à la Pitié) et le 23/02 (DFG à Tenon) et là je me suis demandé ce qu’il se passerait si un employeur refusait ce genre de congés… !?

Où il n’y a pas de patère

23 février 2016

C’est donc aujourd’hui que je me pointe à Tenon pour le DFG. Première bonne surprise, j’ai un bus direct depuis la maison, ça m’évitera au moins d’envisager des trajets punitifs en métro. J’ai même imaginé un instant y aller à pied, mais comme j’avais la chance d’être accompagné cette option ne pouvait être retenue.

Je n’ai pas fait la pré-admission. Oubli regrettable, acte manqué penseront certains. L’acte manqué, ça aurait été d’oublier les urines de 24 heures, éventuellement. D’ailleurs en partant ce matin pour prendre le bus, j’avais oublié le flacon dans l’appartement. C’est qu’on a l’air très con avec un flacon d’urine dans le bus quand même, c’est en soi une invitation à l’oubli, c’est immanquable !

Nous trouvons assez facilement le service d’explorations fonctionnelles multidisciplinaires, ses plafonds défraîchis, ses interrupteurs répondant aux normes d’une autre époque, ses fenêtres en simple vitrage qui ferment mal et obligent à mettre le chauffage en route. Il doit y avoir 4 ou 5 lits, en tout cas 4 ou 5 patients, je dois être le seul qui vient explorer sa fonction rénale parce qu’il est en bonne santé. Comme je n’ai pas fait la pré-admission, il faut aller faire l’admission pour avoir les étiquettes. Là, je constate que même l’encadrement de la porte est étiqueté, la porte a, elle, été retirée. En fait d’étiquette, c’est une petite plaque métallique gravée d’un code incompréhensible. Enfin, en cherchant bien on saurait sûrement le comprendre. TNN-01-003-00-R01-159-118. Mais, il faut donc les étiquettes à moi, celles qui permettront à un lecteur de code barre de dire à un logiciel de facturation hospitalière qu’il doit s’abstenir de m’adresser la note, les étiquettes qu’on colle sur les flacons d’urine et les tubes de sang. Pour gagner du temps, je ne m’occupe pas de cette formalité dont il est probable qu’elle m’énerverait. Elle y va pour moi, mon accompagnatrice de choc et revient 30 minutes après avec assez d’étiquettes pour que l’on me vide de mon sang.

Les infirmières me demandent de remplir des flacons, ma vessie s’y oppose, mais ce n’est pas sa faute. En entrant dans les toilettes du service « droite-droite, après les extincteurs » je ne peux m’empêcher de me marrer intérieurement, mon attention est détournée, ma vessie ne lâchera rien tant la situation est pathétique, drôle même. J’imagine la personne qui a pris le soin de taper ce mot sur son ordinateur. C’est la mise en pratique d’un cours de bureautique du milieu des années 90. L’hésitation qui s’impose en pareilles situations, majuscules ou pas, texte centré ou pas, corps 48 ou 72, et si on le met en gras ? Ah non, ça tiendrait sur 3 lignes… Bon, moi je suis surtout content parce que ça me permet de répondre à une question qui me taraude depuis quelques semaines.

C’est quoi l’iconographie d’un blog sur le don de rein ?

Parce que là sur ce coup-là, c’est drôle. Au début, je n’ai remarqué que les points, les 26 points qui séparent l’information du merci. Parce que rien n’est demandé finalement sur cet écriteau, il ne s’agit que d’une information sur les objectifs d’une certaine catégorie d’employés ou de prestataires. Ça sonne un peu comme le mauvais slogan d’une entreprise de nettoyage. Et, finalement comme on est à l’hôpital, ça évoque aussi Grand Corps Malade, A la recherche… On imagine un lip dub façon jeunes de l’UMP dans les toilettes de Tenon…

À la recherche, chacun sa quête, chacun son but, son art des lettres, sa manière d’être, à la recherche.

Les toilettes dont la propreté est un but seront donc l’annexe de ma journée à l’hôpital. Tubes de sang / flacons d’urines vont se succéder toute la journée au fur et à mesure que le produit vaguement radioactif qui m’a été injecté sera filtré. Bon ça, c’est ce que je comprends, ce que j’accepte de comprendre en tout cas.

Les infirmières ont bien compris à qui elles allaient avoir à faire aujourd’hui, un pas-malade-un-peu-chiant-mais-gentil-quand-meme. Cette grande pièce, ses 4 ou 5 lits et ses mi-cloisons de bois est en quelque sorte leur open space et moi franchement ça me saoulerait que des inconnus s’installent pour la journée dans mon open space, pardon, dans mon espace dynamique. Mais, c’est un autre sujet.

J’attends. J’entends. Ce qui se dit derrière la mi-cloison de bois verni, le médecin et sa voix de radio qui passe y voir la patiente, les infirmières, Chérie FM, les discussions sur les enfants qui vont aller au cinéma aujourd’hui. L’interne qui m’explique que sa collègue viendra me voir un peu plus tard.

L’élève infirmière vient me poser le cathéter, ma peur de la blouse blanche devient un exercice de TP. N’empêche que je ne sens rien quand Sarah pique, c’est déjà ça. Le néon au-dessus de ma tête s’est miraculeusement allumé.

Petit déjeuner. Je mange. Une raison en moins pour être chiant !

L’externe passe me voir, Justine, je crois. Je dois dire au moins 12 fois des mots comme « anxiété » ou « angoisse ». Les antécédents personnels et familiaux, les médicaments, la consommation d’alcool, de tabac. J’ai arrêté de fumer, je bois un peu « comme tout le monde », enfin j’essaye de limiter quand même, on égrène les diabétiques de la famille, on parle du cheval qui m’était tombé sur le pied en 96 ou 97, l’opération qui avait suivi, de mon scaphoïde gauche qui s’est trop souvent cassé, tout est noté sur un bout de papier. On parle du DFG, elle m’explique que le don de rein est la seule indication pour cet examen médico-légal. Encore un peu on m’enverra à Quai de la Rapée pour passer des examens… Prochain coup qu’elle passe, elle me fera un ECG.

J’ai mis la première paire de chaussettes que je trouvais ce matin. Pas de chance, elle est trouée. Du coup, je planque mes pieds sous l’espèce de drap en papier qui recouvre le lit. Pas pratique parce qu’il y a mon blouson aussi au bout du lit. Ah oui. Il n’y a pas de patère ici, et ça me perturbe franchement. Pourtant, je suis plutôt du genre à jeter négligemment mon blouson dans un coin, mais j’aime avoir le choix de le faire. Là, ça me perturbe.

Où l’on n’a jamais fini de repeindre

5 mars 2016

48 h après la journée à Tenon, mon majeur droit s’est métamorphosé. Je ne saurai jamais si ce panaris s’est développé grâce à un agent infectieux qui traînait dans les toilettes de l’hôpital, mais à tâter les ganglions qui parcourent encore mon corps après huit jours, on peut au moins se dire que la lutte a été féroce. J’avais le doigt dans l’héxomedine quand le téléphone a sonné.

Vieille habitude, ma mémoire des chiffres ne m’a pas joué de tour, il s’agissait bien de l’hôpital Tenon. Nouvelle voix. Chef de clinique. La voix a beau être agréable, la discussion tourne vite autour de mon DFG un peu élevé. Hyperfiltration.

Avez-vous consommé de la cocaïne récemment ?
Heu… Non

Par contre j’avais bu 1,5 L de Coca light la veille de l’examen. On se drogue à sa façon hein. Alors, le coup de fil se conclue sur la nécessité d’en parler au Pr Barrou et de refaire l’examen. On a même décalé un autre patient pour que je puisse vite revenir.

J’exulte !

Mon doigt ne ressemble plus à rien avec ces bains d’héxomedine, j’ai le ventre en vrac avec les antibiotiques, et voilà que je me mets à tousser. Retour frissonnant jeudi soir à Paris. Fièvre. Je préviens Rémi pour l’hyperfiltration dont je comprends qu’on tient peut-être là une contre-indication de dernière minute.

10 jours plus tôt j’obtenais de la secrétaire du Professeur la date prévisionnelle de l’intervention – si rien ne venait la contre indiquer…

Vendredi midi, je voyais ma généraliste, à première vue une grippette, mais quand même il me fallait faire une radio des poumons. Du coup malaise vagal à la pharmacie. Je me reconnais bien là. À 14 h il fallait être à l’institut de cardiologie à la Pitié pour l’échographie cardiaque. Le cardiologue passe avec son café et un collègue à 14 h 12. À 14 h 20 je suis en salle d’examen. Mon cœur n’a pas une tête à faire peur, c’est déjà ça.

Bizarrement, cet examen qui a tout pour me faire syncoper par principe m’aura semblé très paisible. Déjà le médecin n’était pas trop bavard et puis quand il mettait le son, je trouvais le bruit métallique des pulsations très reposant.

Mon père m’a rejoint, je n’en mène pas large avec la fièvre et les petites quintes de toux. Il reste en cardiologie pour attendre les résultats pendant que je rejoins Rémi au bâtiment Cordier. Ma sœur doit nous rejoindre, mais il faudra d’abord qu’elle trouve où nous sommes. Au moins ce coup-ci elle a pile assez de batterie pour nous appeler…

Rémi est reçu en premier par le néphrologue, le docteur Tourret. Il en ressort 20 min après en nous informant que son bilan pré-greffe est terminé. À mon tour. S’il ne manque plus grand-chose dans le bilan, il y a un certain nombre de questions qui se posent. À commencer par mon hyperfiltration… Puis, il y a deux nodules sur les glandes surrénales, ce qui me permet de décrocher un examen complémentaire… Ce sera donc ma première IRM… En attendant que le professeur Barrou ne nous rejoigne pour finir la consultation avec Rémi, le docteur demande à l’infirmière de me prendre quelques tubes.

Je m’installe sur le fauteuil prévu à cet effet, je me retrouve donc face à la porte de la salle de consultation, derrière le médecin. Tout ce que je trouve à dire c’est que c’est amusant de n’avoir repeint qu’un bout de la pièce.

Ils étaient en train de peindre pendant que je consultais, je leur ai demandé de revenir plus tard, ça ne leur a pas plu et ils ne sont jamais revenus.

Ah tiens ils veulent une radio des poumons aussi, bonne nouvelle je dois en passer une 25 min plus tard à Odéon, et comme j’ai de la chance elle suffira puisque ma grippette est sans foyer pulmonaire.

Où il faut faire l'IRM en mars

12 mars 2016

Vendredi 4 mars, on regarde mon dossier. Le néphrologue lit le compte rendu du scanner du 25 janvier dernier et m’explique que, non, vraiment, je ne suis pas fou, le produit de contraste peut produire des effets désagréables et le mal de dos du moment ne venait sûrement pas de mon incroyable capacité à stresser comme l’avait laissé entendre l’infirmière.

Il voit surtout dans le compte rendu qu’il y a des nodules sur les glandes surrénales. Bizarrement, c’est le genre de trucs qui ne m’inquiètent pas vraiment. Pourtant, la peur de la blouse blanche, l’hôpital qui sent l’hôpital, les néons qui aveuglent, tout ça, ça m’affole. Qu’on me dise que mes glandes surrénales ont je ne sais quoi ne m’inquiète pas pour deux raisons.

La première, c’est que je n’y comprends pas grand-chose. Si encore j’avais voulu être médecin à un moment dans ma vie, pourquoi pas, je pourrais essayer de m’y intéresser, de comprendre, mais moi quand j’étais petit je voulais faire « un métier qui n’existe pas encore ». Les glandes surrénales existaient déjà. En plus, même avec une bonne encyclopédie je raterais assurément l’essentiel. Et puis, en guise d’encyclopédie on a Google et Wikipédia, je raterais bien plus que l’essentiel.

La seconde raison, c’est qu’arrivé à ce genre de gros mots, mieux vaut s’en remettre complètement au médecin dont la manière d’envisager la chose laisse à comprendre quand il peut s’agir d’un vrai ennui. Là, on est surtout « obligés » de faire l’IRM pour « vérifier ». Je n’ai donc rien.

J’ai quand même espéré qu’il y ait là matière à expliquer l’hyperfiltration, si l’ennuyeux peut être expliqué par l’anodin on pourrait se concentrer sur l’essentiel : la transplantation approche quand même !

Je repartais de la consultation avec la liste des numéros de téléphone pour prendre rendez-vous pour cette IRM « qu’il faut obligatoirement faire en mars ». J’avais aussi – et encore – les Doppler à faire et puis la radio des poumons que par chance mon généraliste voulait aussi. Dans le doute, j’ai pris rendez-vous au cabinet qui s’est occupé de la radio pour l’IRM et les Doppler. Tout peut être fait dans les 10 jours, mais je sais qu’en faisant ça je vais me retrouver à avancer tous les frais.

Le lundi, j’appelle sans trop y croire l’imagerie de la Pitié. Après 12 tentatives, une voix douce prend mon appel, et après quelques minutes d’explications, une pointe d’ennui vient épicer l’apparente douceur…

Si c’est urgent je ne peux rien faire pour vous, éventuellement il faut que le Professeur Barrou contacte le Docteur Renard pour que ce dernier nous dise si on fait de la place dans le planning

Pour arriver à ce résultat, il me faudrait d’abord écrire un mail (le téléphone risquerait de faire monter ma tension et je dois la mesurer trois fois par jour) à la secrétaire du professeur ou à la coordinatrice des transplantations. Sans qu’on puisse leur en vouloir, l’une ou l’autre ne pourrait sûrement pas lire ce message avant quelques heures, délai que l’organisation naturelle de l’hôpital verrait se doubler avant que l’une ou l’autre ne puisse en parler au professeur qui contacterait sûrement le fameux Dr Renard sans délai, mais à ce petit jeu, il est évident que la convocation à l’IRM tomberait sur un créneau que j’aurais un mal de chien à honorer.

Je n’ai donc rien fait. Enfin si, j’ai rappelé le cabinet d’imagerie lundi après midi pour savoir combien ça allait me coûter. Léger étranglement. « Mais ne vous inquiétez pas, la sécu et votre mutuelle vont rembourser ». Sauf que le bon processus n’est normalement pas celui-ci.

Ceux qui ont pondu la loi afférente n’ont sûrement jamais eu de nodules sur les surrénales, du coup ils n’ont pas essayé de prendre un rendez-vous pour une IRM en se demandant comment la prise en charge allait se faire. L’examen aura montré que finalement, moi non plus je n’ai pas de nodule sur les surrénales. Vivement le second DFG à Tenon quand même, qu’on sache si j’hyperfiltre toujours autant !

Où il est question d'argent

17 mars 2016

En attendant la suite – médicale s’entend – il est intéressant d’avoir le temps de se poser de sottes questions administratives, et même, reconnaissons-le, bassement financières.

J’avais déjà relaté ici mes échanges incroyablement productifs et efficaces avec les plus hautes têtes dirigeantes de l’APHP qui avait reconnu ses torts avec une célérité que d’aucuns refusent usuellement de reconnaître à la puissance publique. Ils ont été très bons. Et rapides.

Bon. Évidemment depuis à chaque examen passé à l’hôpital, j’ai le droit au décompte d’une franchise sur mon relevé de la sécu. Évidemment mises bout à bout ces franchises pèsent maintenant plus qu’une consultation chez le médecin. Évidemment je m’étonne que seuls les examens pratiqués à la Pitié soient concernés par cette anomalie ; en tout cas la mesure du DFG effectuée à Tenon n’a pas donné lieu à la même bizarrerie dont il semble alors évident qu’il s’agisse d’une erreur quelque part dans une saisie informatique. Mais, passons, l’hôpital public tente tant bien que mal d’appliquer avec sérieux ce que la Loi lui impose. C’est plus qu’appréciable.

Par principe je râle, j’écris à l’assurance maladie qui me renvoie vers l’hôpital que je n’arrive pas à joindre : les échanges de fin décembre me laissent à penser que le jour où il faudra régler ce problème, il sera vite réglé.

Au milieu de mes courriers cet après-midi, j’ai quand même fait les comptes de ce que les examens réalisés en ville ces 15 derniers jours m’avaient coûté. Ou plutôt un rapide coup d’œil dans l’application mobile de ma banque m’a conduit à m’interroger sur ces dépenses importantes que je notais sans plus d’attention dans un coin de ma tête. Une IRM des surrénales à 170 €, une radio du thorax à 70 €, le Doppler des vaisseaux du cou à 125 € et le Doppler des vaisseaux iliaques et VCI au même tarif. La somme est rondelette, 490 € en quelques jours au bénéfice d’un seul et même cabinet qui présentait – il est vrai – l’avantage d’avoir un carnet de rendez-vous suffisamment souple pour répondre à la relative urgence de finir le bilan avant la fin du mois. J’ai donc raqué. On verra plus tard.

Je suis finalement tombé sur un document très bien fait sur le site de l’agence de la biomédecine : « Guide de prise en charge financière des donneurs vivants d’éléments du corps humain ». Je ne sais pourquoi aucune de mes recherches Google ne m’avait jusque-là conduit vers ce document, mais il s’avère précieux pour qui se lance dans ces démarches globalement très bien gérées sur le plan médical…

C’est avec la loi de bioéthique de 1994 relative au prélèvement d’organes que le législateur pose la règle de la neutralité financière du don du vivant. Elle s’exprime par une disposition prévoyant, en même temps que l’interdiction de toute rémunération, le remboursement de tous les frais occasionnés à la personne « qui se prête au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de ses produits ». Ainsi, le principe de gratuité du don ou, plus exactement, d’absence de rémunération est corrélé dans son affirmation à celui de neutralité financière pour le donneur.

Deux aspects de la neutralité financière, applicables à tous les types de don du vivant, ont ensuite été soulignés au titre des principes généraux :
l’intégralité des frais engagés lors des trois phases du don (le bilan, le prélèvement, la convalescence et le suivi) est prise en charge ;
l’établissement de santé préleveur est désigné pour assurer la prise en charge financière.
Le premier signifie qu’il convient de prendre en charge intégralement les frais afférents au don, à savoir les consultations, les actes et les examens médicaux, l’indemnisation de la perte de revenus ainsi que les dépenses de transport et d’hébergement assumées par le donneur pour lui-même et éventuellement pour son accompagnant.
Le second a pour conséquence, dans le domaine de la greffe, que l’établissement greffeur doit rembourser les acteurs de santé qui ont participé à la phase de préparation au don ou au prélèvement lui-même. Ainsi, dans le cas du don de cellules souches hématopoïétiques, l’établissement préleveur (mais non greffeur) ou le centre de l’EFS en charge de la phase de préparation au don et/ou du prélèvement se fait rembourser les frais engagés par l’établissement de santé qui effectue la greffe.

Voilà qui explique les grands principes, mais ce guide va plus loin et laisse finalement le lecteur toujours aussi perplexe puisque quelques pages après ce propos liminaire plus qu’encourageant, on peut lire…

Pour tous les autres dons, les actes réalisés à l’hôpital sont intégralement pris en charge alors qu’en ville, une avance peut être demandée au donneur. Elle lui sera ensuite remboursée par l’établissement de santé en charge du prélèvement.
Une procédure d’identification des donneurs est à prévoir dans le système d’information de l’établissement préleveur pour faciliter la gestion de leur prise en charge et garantir l’application du principe de neutralité financière.
Aucun paiement ni aucune avance ne doit être demandé au donneur.

Ainsi il est d’abord précisé qu’en ville, une avance peut être demandée au donneur, l’hôpital se chargeant alors de rembourser à ce dernier ; mais plus loin, on précise qu’aucun paiement ni avance ne doit être demandé au donneur…

On se gratte la tête, on regarde son compte en banque, on soupire.

Là où tout cela devient encore plus intéressant, c’est quand le cabinet libéral qui se charge de ces clichés vous demande votre carte vitale. Alors si je la donne, l’assurance maladie va nécessairement me rembourser sa part, puis ma mutuelle prendra la sienne, et évidemment la franchise passera en pertes et profits. Si je ne la donne pas, la secrétaire médicale semble perdue, me prendrait presque pour un malade clandestin, voire un clandestin malade. Elle pose la question, personne ne sait, l’histoire lui semblera trop compliquée, elle m’arrachera presque la carte vitale pour l’insérer dans son lecteur.

Trois jours après remboursement de la part sécu, décompte de la franchise. La mutuelle prendra-t-elle tout le reste en charge ? Suspens…

Évidemment je vais finir par embêter l’infirmière coordinatrice avec ces questions, évidemment elle aura les réponses, évidemment le dossier sera traité par un administratif on ne peut plus capable. J’ai même bon espoir qu’à un moment je puisse me dire que tout ça ne m’aura pas coûté un centime.

J’ai bon espoir, mais pour le moment je compte, je pointe les décomptes, je perds du temps et je vais en faire perdre à d’autres.

Personne ne lira ce billet, enfin si, mais pas ceux qui devraient faire en sorte que de telles situations ne se produisent jamais. Pourtant, les réponses de ces gens-là seraient on ne peut plus intéressantes.

Où l’on repasse une journée à Tenon

30 mars 2016

Alors au moins j’aurai de beaux restes !

C’est tout ce que j’avais trouvé à répondre au néphrologue à Lille qui me disait en regardant le compte rendu du scanner abdomino-pelvien « vous avez de beaux reins ».

Les formules sont importantes, elles distraient l’esprit de toutes ces mesures. Le deuxième DFG était un peu éprouvant psychologiquement. Non. C’était l’enjeu que je conférais à cet examen qui était nerveusement lourd, voire pénible. Médicalement parlant, c’était (presque) une partie de plaisir : les infirmières et les médecins sont d’une agréable compagnie tout au long de la journée. J’ai même eu l’impression de refaire de l’électronique quand l’externe m’a expliqué la signification des courbes de l’ECG sur le papier millimétré. Ils aiment bien les mesures quand même, ça ne m’avait pas autant frappé la première fois en février. La première mesure de la journée, c’est le volume d’urine recueillie sur les 24 heures précédentes. C’est précis. Tour de taille, tour de hanche, poids, taille (donc non, finalement, je ne mesure pas 1m82). Ça, c’est pour la mise en place. Après ça pique. La pause du cathé. Un schisme entre ceux qui le posent à gauche et les autres qui l’installent à droite.

J’ai revu la 1ʳᵉ saison de True Blood récemment. Toutes les 30 minutes quand l’infirmier venait prendre un tube de sang, j’avais l’impression d’être un vampire qui se faisait voler son sang. Note pour l’opération : bien choisir les séries TV pour les jours qui précéderont… Une heure d’attente après l’injection de chrome, une blague sur le fait que dans deux générations les gens ne verront dans ce mot que ce qui sépare leurs secrets de Google. Une heure d’attente dont on profite pour faire d’autres mesures. La tension. Je la trouve haute, ça m’angoisse, elle monte, j’arrache le brassard et implore le staff qu’on attende 20 minutes avant de recommencer. Mauvaise idée. Cinq mesures allongées, cinq mesures debout. Effet blouse blanche, je me calme tant bien que mal, mal. Je réalise un atterrissage inespéré à 135/80. Puis je me lève. Première mesure, pas terrible. SMS de Rémi qui est au même moment en consultation à la Pitié. Ils lui ont parlé de mes résultats de la semaine précédente. La Pitié m’avait fait venir avec mes urines de 24 h pour une prise de sang en station debout afin de vérifier mon dosage de cortisol dans de bonnes conditions.

Il faut dire que le précédent avait été fait à 17 h après une journée de grippe et une échographie cardiaque, l’ordre important peu. Rémi ne m’a pas parlé du cortisol dans son sms, mais il m’a informé que j’avais de l’albumine dans les urines, que ça pouvait être une contre-indication et que le Pr Barrou n’avait pas encore vu ces résultats. Autant dire que je n’ai pas laissé la deuxième mesure de la tension se terminer. Brassard arraché, ça montait en flèche.

Dans les séries américaines en ce moment, il y a toujours des atypiques qu’on présente comme des génies, souvent (faussement) sans cœur et des gens qui ont une réplique récurrente à chaque épisode « oh my God, i’m having a panic attack! ». Pour moi, ces deux trucs étaient des exagérations télévisuelles : tous les atypiques ne sont heureusement pas comme Sherlock ! Par contre, hier en m’allongeant après avoir vu le sms de Rémi, j’aurais tout à fait pu crier « I’m having a panic attack ! ».

L’avantage, c’est qu’ils ont laissé tomber la tension pour la journée.

Sur les coups de 13 heures, alors qu’un repas presque inquiétant va m’être servi, l’interne vient me voir avec les premiers résultats de la journée. Les plateaux ne sentent vraiment pas bon : une vague odeur de purée… Ce premier bilan est plutôt pas mal, la micro-albuminurie n’est pas encore disponible, mais comme les protéines ne se sont pas faufilées, on doit tenir le bon bout.

S’il y a deux mois, je ne savais pas ce qu’était un glomérule, j’en ai maintenant une image amusante : la masse filtrante d’un aquarium. J’imagine mes reins plein d’algues, du coup ça me fait penser aux grosses barquettes de Danette que ma mère achetait quand on était enfants. J’imagine les saloperies qu’ils mettent dedans s’accrocher à un charbon de filtre d’aquarium. Tout ça à cause de l’aginate de sodium… Ce que j’ai compris aussi, c’est que cette petite journée d’examen coûte tellement cher qu’en temps normal on se contente d’une estimation du DFG, un calcul savant qui arrivait la dernière fois à 114 mL/min pour une mesure à 137 mL/min. Sur le deuxième coup, j’ai un DFG calculé à 104 mL/min ; j’applique rapidement une règle de trois en savourant l’immangeable purée. J’entrevois un atterrissage de la mesure à 126 mL/min et je me dis que ce calcul trop simpliste sur des données si complexes ne peut pas être correct (et qu’en plus il ne serait pas une bonne nouvelle).

Dernier prélèvement, puis dernier recueil, évaluation de la douleur à la pose du cathéter (1/10 : cette mesure doit être purement statistique, soyons juste !), il y a un peu de soleil, je rentre à pied, ça caille, le printemps est poussif. Les résultats du lendemain sont bons, pas d’albumine, DFG à 113 mL/min. Normal quoi, en plus, je suis à 12/7 toute la journée.

Où l'on compte les jours

18 avril 2016

En fait, ça me stresse un peu. Enfin non, ça m’angoisse vraiment. Ce n’est pas tant l’opération en elle-même, pas vraiment les douleurs qu’on m’assure pour les premières heures qui suivront. En tout cas de ce côté-là je suis autant inquiet que si on devait me retirer l’appendice.

Bon c’est un mauvais exemple parce que l’appendice et les amygdales ont toujours été mes deux plus grandes inquiétudes médicales. Il faut s’imaginer qu’il y a encore quelques années, je me payais le luxe d’un malaise vagal a l’annonce du terrible diagnostic.

C’est une angine

Bon c’est sûr que de demander des avis supplémentaires à quelques jours de l’intervention ça n’était pas pour me rassurer. L’endocrino était sympathique, à m’expliquer qu’a priori je n’avais pas de cancer des surrénales. Il faut dire que je n’avais pas vraiment compris la question, en tout cas pas comme l’avait reformulée l’endocrinologue. Finalement, j’étais là à m’entendre expliquer que même en enlevant un rein, il n’y aura pas de difficulté pour retourner chercher les surrénales dans quelques années si ça devait être nécessaire. Mais, y avait-il dans tous ces examens matière à s’imaginer que demain peut-être il faudrait me débarrasser des surrénales ? Non, a priori. Comme on m’a déjà expliqué, on me doit tout ça. Tous ces contrôles, ces paires d’yeux successives qui regardent chaque ligne de chaque bilan avant de demander un autre bilan que d’autres yeux vérifieront sûrement.

(J’exagère à peine)

Au début ça ne m’enchantait pas trop. Il faut dire que mesurer mon cholestérol quelques jours après les fêtes… Après le second contrôle, quand les fêtes sont bien passées, on se dit que c’est quand même super classe d’avoir un bilan pareil à mon âge, de constater qu’un tiers de vie n’a pas vraiment abîmé la machine. C’est presque rassurant.

Pourtant, ça m’angoisse.

Ah!? À un proche ?
Non, non, à un riche australien ; je passe par une société panaméenne filiale d’un groupe chinois de courtage d’organes reconditionnés. C’est très efficace et j’obtiens le paiement sur mon compte PayPal très rapidement.
On vit très bien avec un rein !
Oui, tout le monde me le dit ! J’étais surpris d’ailleurs d’apprendre qu’autant de gens avaient donné un rein…
C’est un beau geste…
C’est mon côté Gary Cooper qui fait penser ça.

Ce qui m’angoisse ?

Je ne saurais pas l’écrire. L’après peut-être. Sortir de la brume, vouloir y rester, être sûr d’avoir articulé quelque chose qui ressemblait à « je peux avoir un verre d’eau ? » et comprendre longtemps après en buvant un verre d’eau qu’en fait je n’étais pas sorti de la brume. L’angoisse, c’est tout ce que je ne maîtriserai pas, de l’anesthésiant qui passera dans mes veines à mes vaines demandes d’eau, l’angoisse des premières nouvelles de Rémi, du greffon.

Où l'on reçoit le GO

26 avril 2016

Bon. Je m’étais fixé un objectif non chiffré de perte de poids avant la néphrectomie. Je me satisferai donc des quelques grammes que la néphrectomie me fera perdre. Ça pèse combien un rein ? Je me suis demandé si la prise de poids venait du stress induit par l’opération qui approchait, du stress généré au bureau par l’inconséquence managériale, de l’arrêt du tabac ou si un savant mélange opérait ici. Bon, je n’ai pas non plus pris 20 kilos, tous mes pantalons continuent à m’aller, mais quand même. Me pencher sur cette question sans importance me permet de ne pas basculer dans l’angoisse préopératoire totale. Bon. Je suis totalement angoissé. D’où viennent ces cinq kilos ?

Je vais en compter 1,5 pour le tabac. Ça me semble raisonnable un virgule cinq.

Ensuite, j’en vois bien un très vicieux. Celui du bilan pré greffe. Non pas que les examens aient été particulièrement flippants (heu… Si. Mais, que les donneurs potentiels soient rassurés, c’est juste mon rapport à la chose médicale qui me fait utiliser « flippant »), mais il faut s’imaginer la scène du verre de Pouilly, du bout de Moliterno, ou des croissants maison au beurre de feuilletage à 84 % de MG. Cette scène est amusante, sinon pathétique. Une semaine avant une prise de sang, je projetais de m’astreindre à un régime strict. Un peu comme le mec qui va passer un concours et qui sait qu’il doit se plonger dans ses bouquins. Moi, je n’ai jamais aimé bachoter. Je n’en ai jamais eu besoin du reste. Sûrement pour ça que j’évite les concours d’ailleurs, ça me ferait gonfler, assurément… Donc plein de bonne volonté, je passais trois jours comme un ascète (en vrai deux jours). Et puis au 4ᵉ (la vérité est ailleurs…), je me tenais un raisonnement qui vaut aussi pour le mec qui passe un concours.

Si je modifiais mon mode de vie pour réussir la sélection, c’était un calcul dangereux. Parce que ce verre de Pouilly, ce bout de Moliterno (à la truffe!!) ou ce croissant ultra-gras que j’avais préparé quatre jours plus tôt (en vrai, le matin même, sinon il était sec), en temps normal, je ne cherche pas à y résister, et je trouve après un moyen de le gérer. Course à pied, diète, grève de la pesée… Mais alors, la bonne stratégie n’était elle pas celle que je choisissais après 3 jours, quand je m’obligeais à prendre 3 verres de Pouilly, à racheter un peu de Moliterno et à refaire quelques croissants. Quitte à avoir un comportement inhabituel, mieux valait s’en tenir à celui qui reste en temps normal une exception! Le raisonnement est peut être tordu, mais tout inconscient qu’il ait été, je lui dois bien 1 kilo. Le poids de l’anticonformisme peut-être.

Reste l’inconséquence managériale, celle qui nait, peut être, dans des chambrées d’étudiants bachotant d’inutiles concours, se conformant avec rigueur à un système à bout de souffle. Restent ces gens qui sans le vouloir, peut-être, ont cet étonnant pouvoir de briser ce qui, sûrement, un peu, les effraie. Restent ces gens qui le soir venu continuaient à me pourrir l’existence devant le frigo, avec sa bouteille de Pouilly, son bout de Moliterno, et son croissant prêt à être réchauffe quelques instants. On arrive facile aux cinq kilos.

En fait je m’en fiche. Déjà parce que ceux-là ne seront jamais les héros de leurs épopées, quand bien même quelqu’un de réellement bien intentionné le leur souhaiterait. Et puis surtout, je me ris de leurs conventions, je joue avec mon épopée à moi, je fais mon big bang, ce qu’ils seraient, eux, incapables de faire. Alors pour quand même marquer le coup, j’avais convié une dizaine de collègues à un déjeuner de fin de cycle, avant de rendre PC, téléphone et badge, avant de retrouver mon frère et ma sœur pour aller manger à la maison, sans Pouilly.

J’ai passé la journée sans faire une seule photo, et pourtant c’est mon anti-stress de toujours, et puis j’ai changé de boîtier samedi, sur un coup de tête. Peut être dans la soirée, peut être aurai-je envie de déclencher. Une soirée étonnamment rieuse pour tous les sept, alors que Rémi me précédera d’un jour en entrant demain à l’hôpital avec son corps fatigué.

Le comité d’experts à Malakoff il y a quelques jours a rendu tout cela bien réel : les douleurs, la fatigue, le comment, tout est revu une dernière fois, et puis il y a les signatures, ma voix qui tremble sans vraiment faillir, l’angoisse qui arrive pour de bon et la balance qui se fige, il n’y a plus de Moliterno, mais je garde pour après, pour plus tard une bouteille de Corton Charlemagne. Ils sont cinq (les experts, pas les kilos), des médecins, au nombre de trois, une infirmière du genre capée mais je ne connais rien à l’organisation des services de santé, et une psy vers qui je dirigeais mon regard pendant toute la durée de la réunion sans vraiment m’en rendre compte sur le moment. Peut être que je voulais ainsi la laisser lire tranquillement ce qui était lisible au delà de ma voix chevrotante.

Bizarrement c’est un moment assez sympathique, un peu comme un comité de pilotage projet avant un démarrage si je transpose à ce que je connais professionnellement. L’étape judiciaire, elle, est moins agréable, glissée entre deux rendez-vous du magistrat dont pourtant ni l’empathie, ni la pression de l’agenda chargé ne semblent feintes, on se retrouve accompagné du greffier qui tient une pochette sur laquelle est inscrit « DON D’ORGANE ». Dedans on retrouve les actes d’état civil, les documents transmis par l’hôpital et sûrement d’autres trucs. Le face à face avec le magistrat dure 3 minutes, il se conclut par une signature. Je suis informé des risques et librement consentant, et personne ne m’a payé.

La soirée était rieuse, Rémi avait froid, une enfant de 9 ans lui a monté le chauffage avant de nous demander ce qui m’arriverait si mon rein restant lâchait un jour. On va déjà commencer par faire faire des économies de chauffage à Rémi.

Et puis après, une fois bien reposé, j’attaquerai mon nouveau job, une impatience de plus qu’il faut réussir à gérer…

Où l’on passe par l’entrée des malades

30 avril 2016

Il est 00h30, j’ai pris l’Atarax qu’on m’a donné pour faciliter le sommeil de la nuit d’avant. Rien que cette entrée en matière fait de ce billet le moins raisonnable de ce blog. Demain je fais l’ouverture du bloc si j’ai bien compris. On va me réveiller à 5 heures du matin pour la douche à la betadine, puis on va me perfuser pour m’hydrater. Et puis l’air de rien, il sera vite 7h du matin et je serai frigorifié. Le plus perturbant n’est pas le froid d’ailleurs, ni le fait d’être le seul allongé dans une salle remplie de gens debout, même pas d’être le seul à poil ou presque. Je ne sais pas ce qui est le plus perturbant…

Il y a 14 ans quand Remi a été greffé la première fois, j’étais arrivé à Nancy la veille de l’opération, je l’avais vu le matin avant qu’il descende au bloc, on n’avait pas eu le temps d’y penser avant. La veille de sa greffe on lui annonçait le matin qu’il faudrait commencer la dialyse dans les prochains jours, et puis l’après midi on lui demandait de revenir à l’hôpital car il y avait un rein. Les seules questions qui occupent l’esprit (des proches du moins) sont d’ordre pratique, en tout cas c’est le souvenir que j’en garde. Moi et mon train qui arrivait tard, ma mère et l’avion qu’elle devait trouver, ma grand mère qui habitait à quelque kilomètres de l’hôpital et allait donc voir sa maison se transformer en QG familial pendant quelques temps.

Ce coup-ci c’est très différent. L’angoisse s’installe tranquillement depuis plusieurs mois. Chez Rémi, chez moi, chez nos proches, toute la famille a vu l’angoisse poindre ces derniers mois. Chacun le vit à sa façon, moi je laisse des sanglots m’envahir à chaque fois qu’un médecin passe me voir. J’essaie, de la plus confuse des manières, de verbaliser mes angoisses, et immanquablement ma gorge se serre, les lacrymales s’activent et les manches de mon pull absorbent tandis que je crache un inaudible « non mais ça va aller ».

Il est 00h30 et la néphrologue-anesthésiste, le docteur Ouhrama, vient de passer une bonne demi heure avec moi dans la chambre. Comme tout le staff, elle se veut rassurante, la conversation qu’elle me fait est sûrement l’ultime moment de détente avant l’opération. Et puis encore quelques larmes quand elle part et que j’avale l’Atarax et que je commence à écrire ces quelques lignes avant de sombrer à 00h53.

Il est 5h20 ce vendredi matin, Manon, l’infirmière de garde cette nuit-là vient me réveiller. Direction la douche, j’en ressors jaune, puis la perfusion est posée à la 3eme tentative. Il est 7h30 et les brancardiers arrivent, c’est ça l’ultime moment de détente, un grand type costaud qui reluque les infirmières qu’il croise, ça me fait bêtement rire quand il se plaint qu’une d’entre elles n’a pas de fesse. Je lâche un « Tout se perd, moi je n’aurai bientôt plus qu’un rein! »

Il fait froid, on me pose des questions débiles du genre « vous savez pourquoi vous êtes là ? », moi je réponds que je suis très déçu. En entrant au bloc, je lis au dessus de la porte « Entrée des malades »… Moi j’aurais préféré un « Entrée des Héros », plus adapté à mon cas ! Je le dis à Anne, l’infirmière qui assiste l’anesthésiste, la dernier paire d’yeux que je verrai avant de sombrer.

Néphrectomie intégrale par laparoscopie à assistance robotique. Je crois que c’est la terminologie exacte.

A la fin de l’opération le Dr Drouin a appelé ma moitié qui a répandu la bonne nouvelle. Je vais bien. Le monde est petit. La fille de Valerie est en CM1 et elle passera la journée et la soirée chez une de ses copines. Le papa de cette copine est anesthésiste dans le service, c’est sa voix et celle d’une infirmière dont je crois me rappeler qu’elle s’appelait Charlotte, que j’entends en premier. Frédéric me propose d’appeler Valerie et me demande le numéro. Tout gazé que je suis encore, je crache les 10 chiffres sans problème. Je bredouille des choses incompréhensibles, et j’entends des larmes de joie. Je rends le téléphone en fermant les yeux tranquillement. La douleur est là, mais l’esprit, les restes de l’anesthésie et sûrement des antalgiques la rendent légère.


Je reste une petite heure ainsi puis on prévient le 4e étage que j’arrive. Le trajet en brancard me semble plus long qu’à l’aller. J’arrive à me déplacer seul du brancard au lit, on m’a prévenu avant que je ne remonte que Rémi est au bloc et que l’opération se déroule normalement. Je somnole quelques heures puis je reconnais Valerie assise sur le fauteuil, il est environ 16h. Les infirmières laissent aussi ma mère entrer un peu après, puis mon père. Ma petite sœur remplacera Valerie un peu plus tard, puis les premiers coups de fil, les mails, les sms, …
On reçoit des nouvelles de Rémi, il est en salle de réveil, il déguste niveau douleur mais tout s’est bien passé. Il a mon rein, il a son rein maintenant.

Les médecins passent, le Dr Vaessen, l’homme au robot, le Pr Barrou accompagné d’une jeune médecin, puis plus tard le Dr Ourahma à qui je raconte mon histoire d’entrée des héros. On me change d’antalgiques, la douleur est perceptible, ce qui veut dire que je n’ai pas vraiment mal. La sonde vésicale me gêne, mais c’est bien là le plus grand ennui.

A 22h, Remi me passe un coup de fil depuis sa chambre à l’autre bout du couloir, il va bien.

Où l’on arrive au bout (de son bout d’aventure)

3 mai 2016

Il me fallait faire un dernier billet, même si l’aventure n’est pas terminée, même si Rémi a encore de longs mois de galère devant lui, ma part du job est terminée.

Je suis sorti de l’hôpital au 3ème jour post-opératoire, parce que j’allais mieux, parce que j’en avais marre, et je ne l’aurais jamais autant ressenti en l’écrivant que cette fois-ci, l’hôpital quand on n’est pas malade, c’est quand même pas la panacée.

Le chauffeur de taxi qui nous a ramenés de la Pitié était stupéfait, il se confondait en gentillesses à mon propos, nous expliquait que lui, il n’était pas sûr qu’il aurait fait la même chose pour ses frères, enfin si, peut-être,  mais sans entrain. Ça tient peut être à l’éducation qu’on a reçue, à notre appareil familial qui fonctionne malgré tout mieux que normalement, mais moi je n’ai jamais réfléchi, de même que Rémi n’aurait pas réfléchi s’il avait été nécessaire de faire la même chose pour moi ou pour une de nos soeurs.

Ca ne veut pas dire que ça ne faisait pas peur, oh ça non ! Mais à aucun moment je n’ai eu le sentiment que j’allais affronter ces peurs-là tout seul.

Pour moi c’est terminé, il reste évidemment les quelques semaines sans bain, sans sport ; il y aura toujours l’hésitation, la résignation devant une bouteille de Saint-Yorre ou un anti-inflammatoire quelconque. Les mots de Dominique, l’infirmière, sur la nécessité de prendre soin de mon rein. Il y a les photos que je ne pourrais pas faire dans les prochaines semaines parce que bondir accroupi me sera impossible. Il n’y aura pas vraiment de mauvais souvenirs, quoique quelques heures après l’opération je contournais la sonde vésicale sans vraiment savoir comment et j’appelais l’infirmière presque honteux. J’étais bien dans un service d’urologie, mais même cet épisode désagréable se soldait dans le réconfort d’une parole inattendue quand Nelly, l’infirmière, me dit en soulevant le drap souillé

« Ah ben oui, en plus vous êtes au garde à vous »

Il y aura surtout cette image qui m’aura définitivement convaincu de faire le forcing pour sortir dès le 3ème jour pour m’empresser d’aller chez le boucher, pour acheter un rognon de veau ; quand Rémi a déboulé dans ma chambre lundi matin avec ses doigts dessinant un V victorieux. Sa mine grise des 3 dernières années avait disparu, un peu grâce à moi, à mon rein, mais surtout grâce aux vrais héros de cette aventure, au Professeur Barrou, aux Docteurs Tourret, Ourahma, Vaessen et Drouin et à tous leurs confrères, toutes leurs consoeurs qui y ont pris part d’une manière ou d’une autre ; grâce aux infirmières dont tous les prénoms ne me reviennent pas forcément, Sophie, Dominique, Mélanie, Nelly, Farida, Christina, Julien, Sandrina, Maeva, … et puis évidemment les équipes des blocs opératoires, quand l’esprit ne peut plus enregistrer les noms! Cette équipe pleine d’humanité avec qui Rémi va encore faire un bout de chemin, que je croiserai une fois par an, nous ne sommes pas prêts de les oublier !