Le vide au carré

Le vide au carré
27 avril 2022 / Envoi n°14 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°690 / 5 novembre 2021

Ce n’est sûrement pas la période la plus photogénique de ces dernières années. Les gens portaient des masques et bizarrement ils se faisaient alors plus méfiants à l’égard de l’appareil photo. La méfiance se traduisait dans l’espace public par des grognements. Insupportable.

J’ai souvent eu l’impression qu’en demandant aux gens de faire ce qu’on s’imagine être le truc le plus humain, en demandant aux gens de veiller un peu sur leur prochain, au moins de jouer la sécurité, de se protéger, un peu, les uns les autres, et ben on a réussi à éveiller chez eux ce qu’ils ont de plus animal. Peut être parce qu’on ne leur a laissé que les yeux pour communiquer. Qui sait.

Lui il était à Londres. A la Tate modern. Comme quoi avec nos seuls yeux il restait plein de choses à faire, à commencer par voir ce qu’on n’avait encore vu. Lui il est resté assis là pendant un long moment, à regarder on ne sait quoi, et on s’en fiche parce que ce qui est touchant c’est sa posture, comme une envie de s’accrocher au vide qu’il observe. Les gens qui regardent le vide sont si rassurants, au moins à moi et à mes trop-pleins.

Lui il était là, assis au bord du vide qui se dessinait sur le mur d’un musée, aux confins de trois arêtes, il ne donnait pas l’impression de manquer d’air, même si le jeu de lettres ne vaudra sûrement pas un vrai jeu de mots ; lui il était là, et dans son regard il n’y avait plus rien d’animal, il ne grognait pas, il contemplait, et je me demande s’il se souvient de cet instant où il a choisi de ne voir du monde que ce que son esprit voulait lui en montrer. Je me demande s’il enregistre chacun de ses petits moments, s’il s’en fabrique des souvenirs à consommer plus tard quand il faut remettre un s à la fin de trop-pleins et ajouter un r pour changer le sens de ses confins, est-ce que lui aussi parfois il s’assied au bord du vide qui se dessine furtivement dans sa tête, juste pour ne plus manquer d’air, juste pour humer l’air, pour que ça s’arrête ?