Poulets sous surveillance

Poulets sous surveillance
03 mai 2022 / Envoi n°15 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°581 / 12 octobre 2019

Sur cette pellicule il y a plein de photos plus intéressantes que celle-ci. Ce jour-là un grand machin de près de deux mètres s’était énervé après mon appareil. Ou après moi je ne sais pas trop. Il avait un accent d’américain qui s’entraîne douloureusement depuis des semaines à prononcer 3 phrases en français pour l’intervention qu’il réserve à un colloque où il devra prendre la parole. Et il m’avait engueulé avec ce truc un peu pathétique dans la bouche, ces r qu’il ne savait qu’avaler.

Sur cette pellicule, et sa voisine aussi d’ailleurs. En octobre 2019 j’avais toujours deux appareils autour du cou, une histoire de trop-pleins et de lumière qui allait bien autant à la couleur qu’au noir et blanc.

Au fond même le mec qui m’engueule il peut me toucher, et je me souviendrai de lui pendant si longtemps qu’il faudra bien que je m’en invente un jeu. Je me raconterai son histoire au moment de m’endormir, enfin l’histoire que je lui prête évidemment, comme celle du primeur du 41 rue de Bretagne, puisque cette pellicule couleur je la finirai un peu plus tard au marché des enfants rouges, parce que ce jour-là aussi j’ai eu envie de compter le cagettes. Et puis ce clébard sur le boulevard de Belleville, une scène qui ne pouvait marcher qu’en couleur, une scène de BD, comme le croisement de Boule et Bill et Lucky Luke sur la même vignette.

C’est ça l’histoire en fait, l’histoire de ce jeu-là, de ces envois de photos a des inconnus, à vous peut-être. Il me plaît de penser que les récipiendaires s’inventent des jeux dans leur tête aussi, ab acia et acu, qu’ils s’en racontent l’histoire qui leur en plaît.

De fil en aiguille, de photo en photo, d’histoire en histoire, et puis sur cette pellicule, avant le chien qui garde les poulets de son boucher de maître, il y avait le presbytère et ses lampions, il y avait tant d’autres choses qui ne méritent pas vraiment d’être écrites mais qui sont autant de marqueurs de leurs instants respectifs. Autant de raisons de se souvenir ou de se raconter des histoires, autant de raison de s’amuser, d’imaginer. C’est un peu ma manière de dire au monde qu’on ne devrait jamais s’arrêter d’imaginer, parce que sinon on fera vraiment de l’époque un moment plus effroyable que son instant.