Pourquoi nommer ?

Pourquoi nommer ?
3 juillet 2022 / Envoi n°23 / Tirage 18 x 13
Pellicule n°684 / 17 octobre 2021

Les gens qui ne se regardent pas pour se cacher qu’ils ne s’aiment plus me font une peine immense. Eux m’ont fait l’effet inverse.

Il faut s’imaginer la douceur avec laquelle j’ai vu le bras de ce monsieur se poser sur l’épaule de cette dame. A cet instant ils n’avaient pas d’âge, quelques cheveux blancs bien sûr, une main marquée par le temps évidemment, mais à cet instant le mot vieillir n’aurait pas existé, il ne m’aurait pas manqué.


Alors en les doublant, en déclenchant presque au hasard, parce qu’il fallait garder une image de ce moment, parce qu’une photo permet aussi de ne pas nommer. Se sont ils aimés avant de vieillir ? Leur a-t-il fallu vieillir pour pouvoir s’aimer ? L’alliance brille comme au premier jour, comme si la vie se voulait un éternel balbutiement, et sans le vouloir on pense à Aragon, parce qu’un jour un prof de français pris de vertige devant l'abîme de votre inculture vous a enjoint à le lire.

C’est ça qui se passe quand je prends une photo. Je pense à des bouquins lus trop vite pour ne jamais avoir eu envie de les relire, je regarde passer ce qui me vient à l’esprit, j’écoute furtivement ce qui me passe par la tête, et puis je déclenche.

Et cette main qui se pose si délicatement sur une épaule dont je ne vois pas le visage, une épaule sans âge, dont les mains ne patinent pas et qu’un chignon dégage, cette main qui me fait penser à un poème ou à plusieurs, je ne sais plus, et puis je ne saurais pas les nommer, parce que cette image, en tout ce qu’elle m’inspire, je la vois comme une prose du bonheur. Je